On rit sans doute de bon cœur dimanche dernier dans les alcôves du pouvoir macronien, mais aussi, dans les bureaux du Parti socialiste, et peut-être même, chez les adorateurs du gourou « Insoumis ». Le premier tour de l’emphatique « primaire de l’écologie », riche de 106 649 votants, a en effet donné lieu à une divine surprise. Prenant le contrepied des sondages, le scrutin déboucha sur un résultat très serré qui laisse augurer un dénouement plus qu’incertain. Yannick Jadot, le favori, qualifié par la presse de modéré et de réaliste, se trouvera opposé à l’inénarrable Sandrine Rousseau, considérée comme plus radicale et qui le talonne de 3 000 voix.
Ce résultat ne devrait pourtant pas surprendre ceux qui suivent les péripéties du mouvement EELV depuis sa création. En 2011 déjà, Eva Joly, inquisitrice et sèche comme un pasteur luthérien d’antan, l’avait emporté contre le consensuel et télégénique Nicolas Hulot, coqueluche des médias, qui avait tout, en tous cas les sondages, pour prétendre à la magistrature suprême, mais dû rester marchand de gels douches, pour un temps.
Entre opportunistes et fanatiques
Ces épisodes ne font que mettre en exergue les deux grandes factions qui luttent pour dominer la nébuleuse EELV. On compte d’un côté ceux que les journaux qualifient de pragmatiques, des libéraux, favorables à un marché régulé, qui osent s’afficher à une manifestation de soutien à un policier tué et qui aspirent avant tout à « verdir » le système. M. Jadot appartient à ce camp. D’un autre côté, on trouve les gauchistes, habilement surnommés « pastèques » en raison de leur idéal politique profond, la volonté de transformer la société et de faire table rase de tout ce qui a eu le malheur d’exister avant eux. XX Rousseau1 en est ; XY Piolle également. Cette tendance, celle des Verts historiques, est d’ailleurs idéologiquement majoritaire dans le parti et se voit renforcée dans cette primaire à faible participation où les plus politisés se mobilisent davantage et imposent leurs thèmes au plus grand nombre.
Chez les partisans de M. Jadot, il y a, semble-t-il, un intérêt pour une certaine écologie, mais qui a la particularité d’avoir l’échine souple. Les représentants de cette mouvance, longtemps relégués à des entremets sans saveur, ont voulu et pu goûter aux homards, tant sous François Hollande ou Emmanuel Macron. Ces esprits pratiques, à défaut d’être passionnés par l’environnement, sont de brillants arrivistes. Il faut les croire sur un point : ils souhaitent désormais jouer les premiers rôles.
Les amis de XX Rousseau sont d’une tout autre trempe. L’écologie pour eux n’est qu’un prétexte, une porte d’entrée pour mener différents combats. Ces Verts, pâles épigones de Trotski, désirent bouleverser la société de fond en comble, renverser la table et effacer un monde ancien, déjà fatigué. Leur soutien revendiqué à la « pensée » woke, aux thèses des décoloniaux, à un antiracisme racialiste, leur complaisance coupable face à un islam rétrograde et leur adhésion à toutes les théories d’outre-Atlantique visant à nier l’existence des différences sexuelles sont les marques d’un dogmatisme forcené, d’une haine à peine voilée envers le pays qui leur permet d’exprimer leurs opinions.
Un fauteuil pour eux
Ces deux lignes politiques, loin de s’opposer, se recoupent fréquemment dans leur radicalité et possèdent les mêmes impasses programmatiques, qu’il convient de mettre à nue.
La problématique énergétique, éminente à plus d’un titre (économie, géopolitique…), est balayée en un revers de main par les deux candidats. Pour XX Rousseau, grande prêtresse, le nucléaire relève de l’« hérésie » et doit être abandonné dès que possible. Pour Yannick Jadot, ce n’est qu’une question de temps, mais on doit tendre vers le 100 % renouvelables. Ces postures font néanmoins fi d’évidences : le nucléaire n’émet quasiment pas de CO², les énergies renouvelables, pour la plupart d’entre elles, sont intermittentes et ne permettront pas de répondre à la demande des ménages et des entreprises, ou, devront être couplées à des centrales thermiques polluantes.
De fait, on observe dans cette primaire une défaite de la raison, sommée de s’effacer derrière un catéchisme absurde. XX Rousseau, symptomatique de cet obscurantisme d’un nouveau genre, affirmait récemment que le monde « crève de trop de rationalité et de la place occupée par les ingénieurs ». Dans la patrie de Descartes – certainement canceled pour elle, car le philosophe était un « mâle blanc » –, c’est un comble.
La pensée magique a également la part belle chez EELV. Les deux candidats s’opposent farouchement au libre-échange, destructeur pour notre environnement, M. Jadot évoquant même la nécessaire fin d’une « mondialisation néolibérale écocidaire ». Sur ce point, on peut tout à fait les suivre. Là où on commence à se perdre, c’est quand les mêmes déclarent en chœur leur attachement à la construction européenne et leur volonté de la transformer de l’intérieur. N’est-ce pas l’Union européenne qui a permis une accélération formidable du libre-échange critiqué ? Une grande partie de nos partenaires de l’UE n’y sont-ils pas favorables, entravant toute possibilité de changement au sein de cette organisation ? On comprend ici toute la limite des Verts. Péremptoires en façade, mais défenseurs du statu quo dans les faits.
Le sociétalisme, maladie infantile des Verts
Le programme des candidats illustre par ailleurs un certain refus de la complexité du monde et la volonté de traiter certaines thématiques de façon binaire, ce qui peut paraître étonnant pour XX Rousseau, mais logique pour les enfants de soixante-huitards qu’ils sont : les policiers (blancs) sont violents et discriminent au faciès, les migrants sont des victimes et doivent être accueillis sans distinction, le RSA distribué à tous ; on rase gratis et on offre des droits, sans aucune contrepartie.
Une mesure évoquée par XX Rousseau, sans rapport aucun avec l’écologie, comme la majorité de ses propos, livre une image typique de ce que serait une société dirigée par ces Verts. XX Rousseau, pour permettre aux femmes violées de mieux se défendre devant la justice, propose qu’en cas d’affaire de viol, la charge de la preuve repose sur l’accusé et que l’homme (évidemment) incapable de justifier son innocence soit condamné. Cette législation nous ramènerait en 1793, du temps de la loi des suspects, mais pour une juste cause, cela va sans dire.
Et pourtant, les Français sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la préservation de leur cadre naturel. La machine à laver les cerveaux, que ce soit à l’école ou dans les médias, produit inexorablement ses effets. Les faits aussi, soyons honnêtes, peuvent légitimement inquiéter : surpopulation, raréfaction des ressources, montée des eaux, dérèglement climatique… Il ne s’agit pas de nier ces questions, mais de constater que les Verts discutent beaucoup du sociétal, et assez peu de l’environnement, si ce n’est en proposant des solutions fantaisistes, pour des problèmes bien concrets, d’où leur relative marginalisation.
Sandrine Rousseau, fille cachée d’Eva Joly
Avec XX Rousseau et ses saillies doctrinaires, celle-ci est assurée. On peut le déplorer, ces sujets étant trop importants pour être mis de côté ou pis, accaparés par ces individus. EELV prétend sauver la « planète » et changer le climat, mais dédaigne la France, ses terroirs et ses paysages. L’écologie de ces personnes hors-sol, en phase avec celle de leurs électeurs, issus des métropoles, pourrait se résumer à un écoféminisme mâtiné d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.
Un espace existe pour la naissance d’un grand mouvement, dégagé des marottes des Verts, qui prônerait le respect des identités de notre pays, celle de son peuple, mais aussi de ses paysages, de son patrimoine, de sa faune, de sa flore et de ses coutumes. Une écologie populaire, enracinée dans les territoires et qui serait à proprement parler révolutionnaire.
En 2012, Eva Joly s’était ridiculisée du haut de ses 2,31 %. Qu’adviendra-t-il en 2022 ? Marx, paraphrasant Hegel, assurait que l’histoire se répète deux fois, en tragédie, puis en farce. Il avait tort. L’histoire de ce parti n’a rien de tragique.
1. Sandrine Rousseau ayant fait sienne la proposition d’Éric Piolle de supprimer des documents d’état civil les appellations Monsieur et Madame, trop peu « inclusives », je me permets de leur appliquer cette réforme en remplaçant ces termes par une dénomination chromosomique, scientifique et plus difficilement contestable. Quoi que…