L’État laïque se dote d’une nouvelle religion. À quand la séparation ?
Il est très important de noter que l’antiracisme est idéologie d’État avant d’être portée par les organisations associatives et les O.N.G.. Il ne faudrait pas croire que le régalien aurait été pris d’assaut, incapable de se défendre contre une agression extérieure, fût-elle idéologique. C’est, non seulement avec son plein concours que cette idéologie s’est mise en place, mais à son initiative. De quoi relativiser les thèses farfelues sur un « racisme systémique d’État » qui reste une allégation improuvée, alors que l’antiracisme comme idéologie d’État est parfaitement documentée. Seul l’antiracisme est systémique, n’en déplaise à nos pourvoyeurs de mensonges professionnels.
Voici ce que Paul Yonnet écrit dans son Voyage au centre du malaise français : « Pour ce qui concerne l’exercice du pouvoir par les socialistes depuis 1981, il faut multiplier les observations précises et datées afin d’échapper aux ornières à courte utilité des raisonnements politiciens. Pour la droite, en effet, la cause est entendue. Les socialistes, en difficulté en 1985, se sont ralliés, pour en profiter machiavéliquement, au mouvement antiraciste. Or c’est tout simplement là un contresens historique oublieux : l’antiracisme est idéologie d’État plus d’un an avant la naissance de S.O.S. Racisme (octobre-novembre 1984). S.O.S. Racisme descend de l’idéologie d’État antiraciste développée par le socialisme au pouvoir, avant d’y remonter ».
À l’automne de 1983 s’est déroulée la Marche des jeunes pour l’égalité et contre le racisme, autour d’un noyau de jeunes Maghrébins (dits « beurs ») en « difficulté d’insertion » originaires des Minguettes, un quartier à problèmes de Lyon. La marche est publiquement encouragée et applaudie par de nombreux ministres (Jack Lang, ministre de la Culture, Raymond Courrière, secrétaire d’État aux Rapatriés, Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité, Georgina Dufoix, secrétaire d’État chargé de la Femme, de la Population et des Travailleurs immigrés). La chose n’est pas sue, mais un homme de confiance membre du cabinet de Georgina Dufoix aide efficacement les marcheurs à organiser leur progression et à faire face à leurs difficultés financières, matérielles et de sécurité. Le Parti socialiste, le Mouvement des radicaux de gauche et le Parti socialiste unifié ont appelé conjointement à rejoindre la marche pour son arrivée à Paris, le 3 décembre 1983. Une banderole unique surplombe celle-ci : « Vivre ensemble avec nos différences. » Dans la foulée de ce qui reste un succès, le M.R.A.P, (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) lance une campagne sur le même thème en vue d’assises qui se tiennent le 17 et 18 mars 1984 à Paris. Elles sont financées pour moitié par le gouvernement (à hauteur de 900 000 francs) et se déroulent au siège de l’Unesco, où Georgina Dufoix déclare : « Nous devons vivre ensemble avec nos différences. » Cette prescription différentialiste signifie bien évidemment que les Français sont et vont être confrontés à plus de différents et plus de différences qu’auparavant. S.O.S. Racisme n’a donc en aucune manière inventé un discours antiraciste différentialiste. Celui-ci le précède. Il s’y est lové à ses débuts. »
Nicolas Sarkozy, dans la continuité d’une promotion étatique de l’idéologie antiraciste, a estimé lors de son discours sur la diversité prononcé le 17 décembre 2008 à l’Ecole Polytechnique à Palaiseau que « la France doit relever le défi du métissage ». Pour faire bonne mesure, il a pris soin d’affirmer que « l’universalisme de la France est basé sur le métissage », ce qui fit, on l’imagine sans peine, grincer des dents son conseiller Patrick Buisson. Valéry Giscard d’Estaing, également à droite de l’échiquier politique, avait été précurseur dans ce domaine en promulguant le regroupement familial, réforme mise en place en 1976. Pourtant, une passe d’armes l’opposera à Kofi Yamgnane, né à Bassar au Togo et secrétaire d’État à l’intégration de 1991 à 1993, lorsqu’il évoquera des « risques d’invasions ». Kofi Yamgnane rétorquera : « Giscard d’Estaing a toujours le droit de préférer les Noirs qui distribuent des diamants et concèdent leur chasses à ceux qui nettoient les trottoirs de Paris […]. Ses ancêtres à particule ont arraché à l’Afrique et vendu cent cinquante millions d’hommes, ses esclaves, pour créer leur richesse et leur bien-être. Était-ce invasion ou immigration ? » Il y a lieu, ici, malgré ces accrochages de circonstance, de remarquer que le clivage gauche-droite s’estompe devant les impératifs de cette religion séculière.
L’antiracisme : l’union de l’Église et de l’État
Lorsque la psychanalyse était encore en vogue, l’Église envoyait volontiers ses séminaristes faire ausculter leur psyché sur le divan, afin de déterminer quel complexe trouble avait bien pu motiver cette vocation hors d’âge. C’était un substitut branché aux exercices de saint Ignace de Loyola, réputés sentir la naphtaline par un clergé en mal de modernisation. Aujourd’hui, sa soif de ralliement a élu en priorité l’antiracisme et son corollaire l’immigrationnisme. Le Pape François, lors d’un synode sur la réforme de la gouvernance de l’Église, est allé jusqu’à instituer sept nouveaux péchés, très officiellement, dont le « péché contre les migrants ». Toute personne qui mettrait en œuvre des tentatives pour les repousser serait alors coupable de ce péché. En un tournemain, la question est réglée : une ou deux citations relatant la fuite de la sainte famille en Égypte et l’exégèse théologique est bouclée, la caution évangélique scellée. Les confessionnaux devront-ils bruire de ces aveux, dont la chrétienté s’était passée pendant deux millénaires ?
Le paradoxe, c’est que l’encyclique qui évoque la légitime défense de la race (ce sont les termes de l’époque) n’est autre que l’encyclique Mit Brennender Sorge, écrite le 14 mars 1937, pour mettre en garde contre le national-socialisme. La seule encyclique, à ma connaissance, rédigée en langue vernaculaire, ce qui en dit long sur le prix que lui accordait le Pape. Pie XII manifeste alors – je cite l’encyclique – « une vive inquiétude et un étonnement croissant que depuis longtemps nous suivons des yeux les douloureuses épreuves de l’Église et les vexations de plus en plus graves dont souffrent ceux et celles qui lui restent fidèles par le cœur et la conduite, au milieu du pays et du peuple auxquels saint Boniface a porté autrefois le lumineux message, la bonne nouvelle du Christ et du Royaume de Dieu. »
Le Pape poursuit et précise l’objet de son inquiétude : « Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine – toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable,- quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. » Ainsi, « la race » est bien une « valeur fondamentale de la communauté humaine », selon le Pape, et compte au nombre de ces «choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable ». L’inquiétude repose, non sur sa défense, jugée alors légitime car relevant du droit naturel, mais sur un « culte idolâtrique » dont elle pourrait faire l’objet. Sont condamnées, en conséquence, « d’arbitraires » révélations » que certains porte-parole du temps présent prétendent faire dériver de ce qu’ils appellent le Mythe du Sang et de la Race ».
On attend encore la condamnation du mythe antiraciste, du citoyen sans racines et sans identité, qui prétend se substituer à la Révélation évangélique. Non seulement elle ne vient pas, mais cette substitution des révélations est opérée à la tête de l’Église, par son représentant le plus éminent, à savoir le Pape, qui semble voir dans la figure du migrant une nouvelle figure sacrée, messianique pour trancher le mot. Avec un brin de malice, Laurent Dandrieu n’avait-il pas placé en exergue de son livre Église et immigration, le grand malaise ce tweet du Pape François, daté du 9 août 2016 : « Exigeons que soient respectés les peuples autochtones, menacés dans leur identité et leur existence même » ?
© Photo : Alexandros Michailidis / shutterstock. Devant l’église Saint–Jean–Baptiste-au-Béguinage, occupée par des sans-papiers en grève de la faim, à Bruxelles, le 2 juin 2021.
Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)
Aux origines de l’antiracisme (2) : « L’idéologie française » de Bernard-Henri Lévy