ÉLÉMENTS : Le Média pour Tous, créé à l’été 2018, a pris son essor lors du mouvement des Gilets jaunes ; à l’époque, la majeure partie des journalistes étaient très mal reçus dans les cortèges, sauf le Média pour Tous. Qu’est-ce que cette crise a révélé sur les relations entre les médias et le peuple ?
VINCENT LAPIERRE. La crise des Gilets jaunes a mis en évidence la fracture très profonde qui existe entre les médias de masse et une partie de la population. Cette fracture n’est pas apparue soudainement en 2018, elle s’est creusée au fil des dernières décennies et a trouvé dans la démocratisation d’Internet un puissant accélérateur. Le sentiment dominant dans les rangs des Gilets jaunes, et bien sûr au-delà, est que nous sommes gouvernés par des corrompus, pour lesquels leurs intérêts particuliers priment sur l’intérêt général. Dans ce cadre d’analyse, les principaux médias, de par leur proximité avec le pouvoir, leur structure de financement et le mode de formation des journalistes, sont vus comme des passe-plats du gouvernement. Ils ne sont là que pour « faire passer la pilule » des réformes gouvernementales et maquiller en démocratie ce qui n’est en fait qu’un pouvoir totalitaire. Dans ce contexte, la recherche d’information alternative devient parfaitement compréhensible. Pour la crise des Gilets jaunes, nous étions là au bon moment et au bon endroit, avec le bon format de vidéos : au cœur de l’action tout en respectant la parole des Gilets jaunes (ne pas les couper en permanence, ne pas retenir au montage que quelques secondes mais donner le temps au spectateur de comprendre le discours dans sa globalité, etc.), ce que les grands médias ne faisaient pas. C’est effectivement ce qui explique le succès de nos reportages. Mais d’autres ont également fait ce travail. Un certain nombre de médias citoyens sont nés lors de la crise des Gilets jaunes, preuve que la crise informationnelle était bien là, en toile de fond.
ÉLÉMENTS : Quand la Covid s’est invitée dans l’actualité en 2020, le Média pour Tous, désormais bien installé dans le paysage qu’on pourrait nommer « altermédiatique » ou « dissident », aurait pu, comme bien d’autres, vendre successivement à ses abonnés de la chloroquine, de la « plandémie », du génocide vaccinal. Au lieu de surfer sur ce narratif-là, tu as préféré conservé le sens de la nuance et un véritable esprit critique, choix récompensé bien souvent par maints pouces baissés sur YouTube. Avais-tu anticipé de telles réactions, du désabonnement à l’anathème, ou bien t’ont-elles surpris ?
VINCENT LAPIERRE. Non, je n’ai pas été franchement surpris. Je savais qu’une partie importante de notre public attendait de nous que nous nous fassions les relais complaisants de toutes les théories qui se sont mises à circuler (5G, puces dans le vaccin, traitements miracles, etc.). En mars 2020, nous avons mis en ligne un sondage pour savoir ce que nos lecteurs pensaient de l’origine du coronavirus : 49 % ont voté pour des réponses évoquant une intention malveillante cachée derrière la crise sanitaire. Je savais que mes prises de position allaient immanquablement prendre à rebrousse-poil au moins la moitié de notre public. Mais je ne me voyais pas faire autre chose que ce que j’ai fait : prendre au sérieux la parole des scientifiques, écouter l’ensemble des théories en présence et trancher en faveur du consensus scientifique mondial. Et ce consensus, globalement, établit que le Sars-Cov-2 pose un problème majeur de saturation des réanimations, et cela dans le monde entier, y compris dans les pays qui ont trois fois plus de lits de réanimation que la France, comme par exemple l’Allemagne. Tout part de là. Si on rate cette marche et qu’on considère qu’il n’y a pas de problème, que la Covid est une simple grippette, c’est certain que toute action du gouvernement sera perçue comme une atteinte à nos libertés. Je ne peux personnellement pas emprunter cette voie cognitive car, au départ, j’admets que le virus, de par ses caractéristiques intrinsèques, pose un problème. Et ce raisonnement, je le tiens car même si je ne peux aller moi-même dans les services de réanimations et compter les malades ou les morts, j’estime plus fiable le témoignage de centaines de milliers de soignants et de scientifiques à travers le monde qui ne se connaissent pas, plutôt que celui de quelques médecins isolés, ou des témoignages souvent invérifiables sur les réseaux sociaux. C’est assumé. Non, Big Pharma n’est pas en capacité de corrompre des gouvernements ennemis géopolitiquement pour faire croire que le Sars-Cov-2 est une menace alors qu’il n’en est pas une, ou cacher qu’un médicament fonctionne pour imposer un vaccin (qui aurait même pour but de tuer les gens, selon certains). Les faits analysés rationnellement disent autre chose. Et peu importe que Macron dise également cela. Je pourrais répondre que Poutine, Kim Jung-un et Bachar el-Assad développent eux aussi le même « narratif » que Macron, sont-ils pour autant macronistes ? Ce n’est pas parce qu’untel dit ceci ou cela que je vais forcément dire le contraire, ce n’est pas comme cela que je raisonne. Je ne suis pas un « anti-tout » professionnel, ou un idéologue. Ma boussole, ce sont les faits. Et j’écoute – tout en gardant mon esprit critique – ceux qui savent les interpréter et dont c’est le métier. Cette position peut surprendre ceux qui me suivent et je le conçois parfaitement, mais c’est la conclusion à laquelle j’arrive, et je ne peux pas faire autrement que de le dire. C’est mon rôle. Et je le dirai quel que soit le prix que ça me coûte, et ça me coûte déjà très cher.
ÉLÉMENTS : La « réinformation » ressemble trop souvent à une simple contre-propagande, et la « dissidence » à un concours de panurgisme et de pavlovisme ; comment faire comprendre l’importance primordiale d’une forme d’hygiène mentale et de zététique, autrement dit d’art du doute ?
VINCENT LAPIERRE. Effectivement, la défiance souvent justifiée à l’égard des médias de masse a conduit à accorder une trop grande confiance dans les médias dits alternatifs, et ce n’est pas une bonne chose. Il faut exercer son esprit critique quel que soit le canal par lequel l’information nous parvient. Il faut avoir conscience que les médias dits alternatifs ont en fait les mêmes contraintes que les grands médias : pour survivre, ils doivent capter notre temps de cerveau disponible. Et pour cela, ils font face à la même tentation que les grands médias, à savoir donner du simple, du clivant, de l’angoissant, du sentiment de savoir des choses que les autres ne savent pas, etc. C’est en jouant sur ces cordes-là, l’ego, la peur, l’attirance pour le clash, la « révélation », que tout média maximise ses chances de capter l’attention du public. Dans un contexte de concurrence exacerbée entre les médias et en période de crise où les gens attendent des réponses rapides, la tentation est extrême de faire circuler des rumeurs, de jouer sur les peurs et les discours démagogiques. Beaucoup cèdent, certains en font même un business. Ce n’est pas le choix que nous avons fait.
ÉLÉMENTS : Dans une récente vidéo Je relève le défi de Soral , tu reprenais les critiques sérieuses faites à la fondation Bill & Melinda Gates (celles notamment de Lionel Astruc, L’art de la fausse générosité, Actes Sud, 2019), critiques rendues inaudibles par les théories délirantes qui circulent à son sujet. Ces dernières, constates-tu, nuisent donc aux mouvements sociaux et à la contestation du pouvoir…
VINCENT LAPIERRE. Oui, j’en suis convaincu. Rien de bon politiquement ne peut surgir sur la base d’informations fausses, tronquées ou mal comprises. L’un des enjeux de notre époque, c’est que les classes populaires, qui sont les grandes perdantes de la mondialisation, parviennent à faire front commun avec la classe moyenne, à la convaincre que sa position est précaire et qu’elle ne fera, elle aussi, que régresser si un changement politique profond ne survient pas rapidement. On arrive aujourd’hui à un point où ce combat légitime pour plus de souveraineté, donc pour plus de social et de solidarité, est pollué par de fausses informations et une défiance extrême envers la science et la médecine. Cela pose le problème de la crédibilité du discours anti-système et ne fait qu’ajouter un clivage profond dans une situation déjà complexe. Je pense qu’à terme, les mouvements contestataires sortiront affaiblis de cette crise. Il y avait pourtant un boulevard pour une critique rationnelle du système sans nier la gravité de la crise du Covid-19. Cette pandémie a en effet révélé de manière flagrante toutes les faiblesses du capitalisme ultra-libéral. La porte était grande ouverte pour préparer les esprits à un retour de l’État-nation, dont on voit bien qu’il est vital en situation de crise, à une remise en cause de l’utilité de l’Union européenne et à une critique profonde et probante de la mondialisation. Mais si l’on nie la gravité de la crise, alors on ne peut critiquer correctement sa non-anticipation et sa mauvaise gestion, on se retrouve à prôner le retour « à la vie d’avant », c’est à dire l’ultra-libéralisme et le chacun pour soi, quand l’État essaie momentanément et de manière contre-nature de revenir dessus pour tenter de résoudre la crise ! C’est tout le paradoxe de la situation actuelle et c’est le piège dans lequel sont tombés, malheureusement, une partie des Français qui rejettent les mesures sanitaires, car fondamentalement ils rejettent Macron. À mon sens, c’est une erreur.
ÉLÉMENTS : Pour Péguy, un journal devait être capable de bousculer un quart de ses lecteurs à chaque numéro, à condition que ce ne soient pas toujours les mêmes. Te dis-tu parfois que tu serais allé un peu trop loin dans ce sens, ou bien plutôt que ce sont les abonnés « déçus » qui s’étaient fait une idée fausse de ta démarche de journaliste indépendant ?
VINCENT LAPIERRE. Je me dis que ce que certains ont aimé chez moi auparavant est précisément ce qu’ils n’aiment plus maintenant : ma liberté de ton et d’esprit, et mes efforts pour garder une forme d’objectivité et d’indépendance de pensée. Je dois bien admettre aussi que j’ai évolué, même si j’ai toujours voulu donner la parole à tous et confronter les avis divergents (souvent au prix de quelques bousculades et insultes), je ne l’ai sérieusement mis en pratique que progressivement, en interrogeant notamment des chercheurs, des spécialistes, des ingénieurs sur des sujets sensibles (5G, Stocamine, Covid, etc.), et fatalement, il ressort de mes reportages davantage de nuance qu’auparavant. Je suis convaincu que c’est une évolution positive. Pourtant, j’ai bien conscience que, chez beaucoup, comme le dit Jean-François Revel, « le besoin de croire est plus fort que le désir de savoir ». Moi, j’ai besoin de savoir, et non pas seulement de croire. C’est cela que je voudrais transmettre à ceux qui suivent notre travail.
ÉLÉMENTS : Dans ta dernière vidéo C’est la fin , tu l’affirmes sans détour : l’existence du Média pour Tous est compromise…
VINCENT LAPIERRE. Oui. La voie que j’ai décrite est la moins rémunératrice car la moins spectaculaire. Je fais le choix volontaire d’emprunter le chemin de l’objectivité et de la nuance, et je le fais en conscience à l’ère des réseaux sociaux et en période de crise, c’est à dire au pire moment, au risque de tout perdre. Comme je le dis souvent à mon équipe : je préfère couler le navire que mentir aux gens. J’ai la chance d’avoir une équipe qui a suivi mon cheminement de pensée, qui le partage et qui est aussi prête à en payer le prix. Mais je continue de penser qu’il y a un public lassé par les mensonges des grands médias et le n’importe quoi des médias « alternatifs ». Des gens qui, comme moi, ont dépassé le stade de la « dissidence », ou qui ont toujours eu une saine et double méfiance à l’égard des médias du système et de « l’anti-système ». Je pense que nous avons une fenêtre de tir étroite mais qui existe. Ce qui risque de nous manquer, c’est le temps de constituer ce public. Nous vivons une véritable course contre la montre pour ne pas couler. Si mon pari échoue, tant pis, je ferai autre chose. Je ne vis pas pour être sous le feu des projecteurs. Mais je ne veux pas partir sans avoir défendu de toutes mes forces cette position : un média est véritablement libre lorsqu’il est capable de dire ce que ceux qui le financent ne veulent pas entendre. Aujourd’hui, je peux dire que le Média pour Tous est un média libre.
Le Média pour Tous ici : https://lemediapourtous.fr/
2 réponses
Est-ce que la Oak Fondation va de nouveau offrir ses étrennes au Médias pour Tous de Vincent Lapierre ?
Par définition, la science n’est pas consensuelle. Il est donc normal que les opinions des scientifiques puissent être fortement divergentes.
Prétendre que la science a validé je ne sais quelle théorie est une absurdité qui arrange bien les médias de grand chemin. C’est particulièrement vrai pour les « vaccins » anti-CovId dont l’efficacité et l’innocuité sont contestés.