Compte tenu du contexte électrique, on aurait pu s’attendre, en ce samedi de février, à ce que la manifestation contre la dissolution de Génération identitaire livre les rues de Paris à un chaos sans précédent. Pendant des semaines, les anathèmes ont fusé depuis les rangs de la gauche plurielle, sur les plateaux télés, les réseaux sociaux et dans les communiqués : racistes, terroristes, milices fascistes ! Des reportages chocs ont été ressorti de derrière les fagots, du fait divers sordide pour choquer le bon notable de gauche. On a rappelé l’invasion du Capitole, un océan plus loin. Nombreux avancèrent que l’État de droit était assurément menacé par les actions du groupe, que nous étions au bord de la guerre civile. Comme de bien entendu, les antifas parisiens ne manquèrent pas à l’appel.
Les antifas entrent en scène
Dans une déclaration aux accents insurrectionnels publiée sur la plateforme de propagande autonome ACTA, l’Action antifasciste Paris-Banlieue a appelé fermement à contre-manifester. Toutes les gymnastiques intellectuelles furent de mise pour convaincre son auditoire de cette nécessité révolutionnaire : si le Système dissout Génération identitaire, c’est un complot pour mieux renforcer l’extrême droite, et dissimuler au peuple que les idées identitaires sont déjà au pouvoir. Mieux encore, si le pot au rose n’est pas dénoncé, c’est le Rassemblement national qui sera le grand gagnant de l’histoire. Plus direct, le mouvement de jeunesse marxiste Jeune Garde a salué une dissolution qu’il réclamait de longue date et a annoncé continuer son action sur le terrain de la rue en publiant sur les réseaux sociaux des photos de militants prêts à en découdre. « Ça va swinguer ! » promettaient-ils, singeant les codes du hooliganisme. Syndicats d’extrême gauche, partis politiques, pages Facebook insurrectionnelles, tous contresigneront. Des appels qui pousseront la préfecture à déployer par prudence un important dispositif policier, dans le souci d’éviter une bataille rangée entre extrêmes.
Le jour J, chacun fut donc au rendez-vous pour y jouer sa partition, rassemblement et contre-rassemblement. Mais ce que les caméras auront montré, c’est un sans-faute en termes de mobilisation et communication de la part du camp identitaire. De bons Français indignés mais respectueux des lois, le soutien de nombreux élus de droite, un rassemblement à l’organisation sérieuse, une place remplie, des profils variés à mille lieues de l’image d’Épinal du terroriste en puissance au crâne rasé. Bien embêtés devant l’absence des ligues fascistes prêtes à renverser la République, les caniches du système tenteront en dernier recours de débusquer un salut hitlérien. Une pathétique manœuvre qui sera rapidement débunkée par les prudents décodeurs de l’AFP.
Le clown Jérôme Rodrigues
La seule échauffourée notable ne mettra pas en scène des militants antifas ultraviolents, au grand dam du spectacle médiatique, mais quelques poignées de Gilets jaunes avinés. Pas de romantiques affrontements entre bandes rivales, pas de choquantes agressions fascistes, juste quelques perturbateurs expulsés sans ménagement par le service d’ordre. Introuvables sur le terrain, les militants antifascistes auront manqué leur coup. En mobilisant à leur place les Gilets jaunes pour aller au contact du rassemblement identitaire, l’intention initiale était très certainement de montrer que l’opposition au fascisme ne venait pas de militants radicaux, mais du peuple, éternelle chimère de tous les gauchismes. Raté sur toute la ligne, le contribuable français ne s’est pas reconnu dans ce Lumpenprolétariat dégénéré, ces chômeurs-casseurs qui n’ont plus d’identité nationale ou de patrimoine à conserver. Point ici de large mobilisation antifasciste de la France d’en bas, mais le triste spectacle d’une poignée de gogos paumés aux revendications peu identifiables. Affaibli et brisé par des mois de mobilisation et de répression dont le sens lui échappe, le Gilet jaune survivant n’a plus grand-chose à voir avec le terreau dont il est issu. Il manifeste, par tradition religieuse, tous les samedis. Ne se définissant plus que par leurs « gilets », ces nouveaux damnés de la terre lutteront jusqu’au bout, peu importe contre quoi. Face à ces déclassés, ces « intouchables », on aura vu se dresser la France, de toutes les classes, de tous les horizons, fédérée par le drapeau, unie dans la défense de la liberté d’expression. Deux mondes qui se regardent de chaque côté d’une ligne de CRS. L’aboutissement de cette récupération du Gilet jaune aura seulement eu pour effet de mettre dans les pattes de l’extrême gauche de rue cet encombrant boulet.
Il suffira pour s’en convaincre de regarder l’intervention ubuesque du clown borgne Jérôme Rodrigues au micro de Russia Today. Sans crainte du ridicule, il ânonne une bancale démonstration dont on peine à distinguer les tenants et les aboutissants. On comprend vaguement que le pauvre homme serait en guerre contre « Macron » et « l’Allemand » – Jérôme Rodrigues veut parler de Lallement, Didier de son prénom, préfet de police de son état. Hier c’étaient les Allemands, aujourd’hui c’est « l’Allemand ». Le Gilet jaune est pour la liberté d’expression, il doit donc manifester contre Génération identitaire car tous les points de vue doivent se faire entendre. Eh oui, en dissolvant Génération identitaire, Macron a fait le choix de leur donner parole ! La manifestation des identitaires n’a pas été interdite par « l’Allemand », on en déduit donc que les identitaires sont de mèche avec lui. À moins que ce ne soit l’inverse. Les argumentaires calculés des théoriciens antifascistes sont mis à nus. Privés du jargon sociologique et de leur lyrisme militant, dans le cerveau brouillon du gogo Rodrigues, ils retournent à leur état naturel de bouillie inintelligible. Point d’orgue de cette clownerie, le nouveau bouffon du roi se plaindra piteusement d’un violent toucher aux testicules par les forces de l’ordre. L’État tremble devant tant d’ardeur révolutionnaire et le public se gausse. On croirait entendre un de ces délinquants banlieusards se victimiser sur le plateau de Konbini pour tirer les larmes et les sous du bobo bien-pensant. Révélateur de la castration mentale et de la soumission totale de celui qui, on le rappelle, rejoindra prochainement le cirque d’Hanouna comme chroniqueur.
L’art du recyclage idéologique
Bien avant la « récupération » gauchiste, c’est la société du spectacle qui aura terrassé les Gilets jaunes. Le 17 novembre 2018, acte un des Gilets jaunes, il n’y avait précisément pas de « gilets jaunes », il y avait des Français en colère qui se plaignaient du matraquage fiscal. Sur Internet, on parlait de « mouvement national contre la hausse des taxes », de « France en colère ». Le gilet jaune n’était qu’un outil pour se reconnaître, on portait le gilet jaune, on n’était pas « un Gilet jaune ». Puis la mise en scène permanente fit naître l’identité du Gilet jaune. On était plus Gilet jaune parce qu’on voulait payer moins d’impôt, on était Gilet jaune car on défilait tous les samedis et qu’on se revendiquait comme tel sur les réseaux. Les Gilets jaunes étaient une grande famille, une communauté dans la communauté. Au fur et à mesure que le mouvement perdait en dynamique, au fur et à mesure que la fracture avec le Français moyen s’accentuait, la tentation de se reposer sur le tissu associatif de la gauche pour continuer d’exister et de se faire entendre devenait de plus en plus importante. Il fallait prêter allégeance au dogme de la convergence des luttes. Le Gilet jaune devenait l’homme de tous les combats : écolo, antiraciste, syndicaliste même ; dans une totale contradiction avec ses revendications de départ. Mieux encore, par opposition à la police, seule constante du mouvement, il fallait adopter les slogans et les codes visuels du black block et par extension de l’antifascisme. L’identité du Gilet jaune antifasciste était née. D’abord construction médiatique pour assimiler le mouvement aux « casseurs », la synthèse finit par devenir réalité.
La pieuvre identitaire gauchiste, habituée à assimiler en son sein tous les combats d’arrière-garde, était impuissante, dépassée, larguée face à la mobilisation spontanée du peuple français. Des Gilets jaunes cependant, elle n’aura fait qu’une bouchée. Sa spécialité reste de rabattre les multiples identités que revendiquent les proscrits pour les rallier à la haine de l’homme bourgeois blanc, personnifié par le flic et par le militant de droite. La gauche intersectionnelle a cela de magique qu’elle multiplie les cautions au fur et à mesure qu’elle perd les masses. À défaut d’avoir eu les prolos, elle aura eu les Gilets jaunes. On a connu le Beur de service pour se dédouaner du racisme, on a à présent le Gilet jaune de service pour se dédouaner du mépris de la France périphérique. Encombrant allié, mal à l’aise devant les caméras, inutile dans la rue, mais nécessaire pour préserver l’illusion morale que la lutte gauchiste est celle des « sans-dents » contre les élites.
On a pu longtemps débattre du statut d’« idiots utiles du système » des antifas, personne ne niera aujourd’hui que les Gilets jaunes sont devenus les idiots utiles de la gauche.