Sans même avoir ouvert cette nouvelle et élégante plaquette de Michel Marmin, le lecteur aura deviné à son aspect qu’elle est la sœur de Pour Aliénor, parue en octobre 2022. Cette sororité est d’ailleurs revendiquée dans une courte notule qui spécifie qu’elle en est comme la suite naturelle. Toutefois essayons d’abord de suivre les traces de ces oies sauvages dans l’immensité du ciel d’une existence humaine. Les Romains n’avaient-ils pas l’habitude de se fier aux vols des oiseaux pour décider du destin…
Michel Marmin, il le précise en fin de volume, préfère dire qu’il n’écrit pas des poèmes mais des poésies. Oppose-t-il à l’opulente majesté du poème, la légèreté intangible du voile frémissant de la poésie, tels ces coups d’ailes vite évanouis qui permettent l’amplitude des grandes traversées. Aux vols qui n’ont pas fui du Cygne enneigé en lui-même, les oies vibrantes ne sont-elles pas sans cesse en partance vers la présence occultée d’un royaume souverain.
En fin de textes les dates attestent de leur temporalité successive, traces d’étapes dont l’ensemble conjugue la courbe de la grande traversée. La poésie est ainsi, composée de résidus abandonnés à la terre de l’existence et du haut-vol du verre d’un rêve d’une blondeur évanouie. Et retrouvée. En son éternelle présence verdoyante.
Un art poétique
Les poésies de Michel Marmin n’excèdent jamais quelques vers. Elles sont à l’image d’un écu seigneurial qui serait peint de trois oies sauvages, telles les oies vindicatives du jeu germinal de l’enfance, mais bosselé des horions donnés d’estoc et des horizons entrevus en soi-même et en l’Histoire d’un pays royal et déchu, ardemment défendu.
Une poésie de combat. Franche et hargneuse. Mais aussi de retour sur soi-même. Les vers se suivent, agencés comme des toitures d’ardoise. Une pente qui monte vers la cime des principes et l’autre qui vous précipite dans les herbes de la réalité.
Les poèmes de Michel Marmin content sans le proclamer ostensiblement une autre histoire, celle de la lyrique françoise, sans obligatoirement s’assujettir à l’armure de la rime, elle emprunte à la cavalerie légère de l’octosyllabe médiéval, qui sut se faire joyeuse chanson et ample chant des grands romans de la chevalerie du Graal, elle use et coutume de l’alexandrin impérieux et vicinal, et s’affronte même au delta alluvionnaire des laisses prosopopéennes, car vers et prose sont les deux tétins sucés de Dame Poésie, de haute et basse courtoisie. Chair et fer emmêlés.
Existe-t-il un lien structurel entre notre monde morcelé, vidé de ses substances édificatrices et ces poésies pour ainsi dire fragmentées car constituées de copeaux de bois vivants, brandons ignifiés pour les combats rapprochés ou greffons régentés en vue de perspectives métapolitiques ? Nous répondrons oui, toute grande poésie n’est que le reflet augmenté du monde qui l’a engendrée. Édifiée sur les semences des siècles précédents elle s’avère promesse de préservation et d’avenir, elle résiste comme l’or du lichen jaune survit à l’immonde pulvérisation de la présence du monde.
Une collection de blasons
Chez Michel Marmin le vers a des blondeurs de princesse et le rêve des noirceurs de prose récapitulative ou prophétique. Toute une poésie éployée entre la beauté offerte du monde et le mystère des événements, de ceux qui sont advenus, de ceux qui ne sont pas venus. De ceux dont on attend la réalisation, dont toute vie fidèle à elle-même se doit de témoigner. La poésie se tient sur le seuil qui délimite par l’absolu du chant les circonstances événementielles, historiales ou intimes.
Il existe une royauté altière du poëte, incidemment Michel Marmin la qualifie de mérovingienne, le personnage du Roi n’en est-il pas le reflet exact, qui t’a fait Roi, le peuple ou la dynastie, à moins que ce ne soient peuple et dynastie. Ensemble comme le fleuve qui se divise en les deux bras de son delta. Chaque poésie de Marmin est à lire comme un oriflamme1 bariolé brandi à mains fortes et drues, proclamant raison et déraison de soi-même, grandeur exaltée et propitiatoire de l’idée peinturlurée.
Ce recueil est à lire comme une collection de blasons. D’une lecture hâtive si le temps presse mais il est avant tout nécessaire de se rendre maître du donjon du temps dès que l’on entre en poésie. Il faut en déchiffrer les francs-quartiers, ceux qui parlent de la permanence de soi, des amis, des amantes, ceux qui évoquent l’impermanence des autres et des situations. Ils ne se veulent pas hermétiques même si toute lecture en poésie de haute-lisse et de moult lisières tient demeurance en sa propre herméneutique. Tout blason exige une épée.
Une image n’est qu’une action arrêtée. N’ayez crainte, la poésie de Michel Marmin ferraille, elle ferre et raille, fort joliment. Elle voudrait bien écrire le dernier mot, seul le poëte Marmin le détient. Il ne le livrera pas plus que s’il défendait pour le Roi une place forte. Vous le reconnaîtrez, son écu porte trois oies sauvages, elles semblent partir pour un long voyage. Elles reviennent toujours. Elles gîtent sur la plus haute tour.
1. Signalons que dans le vieux français employé volontiers par André Murcie (et ici vraiment de circonstance), le substantif oriflamme peut être du genre masculin, comme le notait Furetière dans son Dictionnaire universel, à la fin du XVIIe siècle : « Les anciens le faisaient masculin. » (Ndlr).