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Quelques révélations sur la fin du « service militaire » et son impossible rétablissement...

Quelques révélations sur la fin du « service militaire » et son impossible rétablissement…

C’est un débat récurrent dans la classe politique. Périodiquement, un homme politique, de droite en général mais quelquefois et plus rarement de gauche, relance l’idée de rétablir le « service militaire » pour « réapprendre à toutes et tous les valeurs communes de la République » et pour tenter de ressouder le tissu social en faisant « se découvrir » et « se frotter entre elles » pacifiquement les composantes diverses de la société française. On contribuerait ainsi à résoudre l’atomisation croissante de la société en clans ethniques, géographiques, sociaux, religieux et tribaux opposés entre eux par des antagonismes et des rivalités d’intérêts irréductibles. A ces motivations de politique sociale et sociétale se sont ajoutées dans les dernières semaines les préoccupations, voire la grande panique de notre classe politique européenne de devoir assumer seuls, sans les troupes américaines, les conséquences éventuelles d’une guerre que nous avons déclarée de facto à l’ours russe. Hélas, c’est une énième « fausse bonne idée ».

Le rétablissement du service militaire techniquement possible, mais en réalité l’idée est à peu près aussi sotte que celle du sénateur socialiste Samia Ghali, qui milite depuis des années pour l’envoi de l’armée dans les quartiers Nord de Marseille afin d’y maîtriser le trafic de drogue et la mexicanisation de la cité phocéenne. Sauf à assumer, bien entendu, le risque politique qu’il y ait des morts par balles au sein de la « population civile » ( y compris les « civils » armés de Kalashnikov…) dans des opérations de maintien de l’ordre, mais le précédent de l’affaire Malik Oussekine, mort en 1986 à Paris, hante la mémoire collective de tous les politiciens matamores, y compris des apprentis-Pasqua, s’appelleraient-ils Retailleau … Toujours est-il que, dans le concours Lépine permanent de « l’idée de Café du Commerce qui permet de passer au journal de 20 heures », le fantasme de la restauration du service militaire a la vie dure.

Je précise que j’ai servi comme officier dans des unités d’appelés du contingent et dans des unités professionnelles, dans des missions d’instruction comme dans des missions de combat. J’ai donc connu les avantages et inconvénients relatifs des deux types de recrutement et, affectivement, entre les deux mon cœur balance, car le service militaire avait effectivement l’immense avantage de favoriser temporairement un brassage social sain et fructueux, et j’en ai conservé des souvenirs inoubliables …

Quand je dis que c’est techniquement possible, c’est qu’une simple loi suffit. En effet, le service national ne relève d’aucune dimension constitutionnelle et, de plus, la loi du 28 octobre 1997 n’a ordonné que sa suspension, non son abolition. La loi précise en effet que le service national « est rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent« .

La restauration d’un service national dans sa dimension antérieure supposerait une quasi-universalité de la conscription, une affectation ultra-majoritaire des appelés à des fonctions de Défense et une durée de service d’un an sous les drapeaux car c’est la durée minimale pour l’acquisition et la maîtrise des savoir-faire techniques et tactiques nécessaires pour, déjà et au minimum, ne pas se faire tuer bêtement dans les 48 premières heures d’engagement. Cela se heurterait à des obstacles sérieux. Le premier est budgétaire, d’autant que la société et les mœurs ont évolué depuis 1997 et qu’on n’échapperait pas à la question qui tue : « et les femmes ? ». L’égalité des droits et donc des devoirs entre les sexes supposerait le recrutement intégral de la classe d’âge considérée sans exemption du sexe féminin, ce qui impliquerait, du point de vue budgétaire et de l’encadrement, un doublement des charges. La question de l’encadrement est encore plus critique que celle du financement. L’armée étant « à l’os » en termes d’effectifs, il est illusoire de dégager des cadres officiers et sous-officiers d’active pour une telle mission. Troisième obstacle, qui était déjà épineux dans les années 70 et 80, l’insoumission. Que ferait-on aujourd’hui des « pacifistes » réfractaires qui se refuseraient à l’appel ? On a déjà du mal à condamner les multirécidivistes du trafic de drogue et on exonère de condamnation des mineurs isolés violeurs « parce qu’ils n’ont pas les codes », alors, pour les insoumis, ne rêvons pas …

Le « grand remplacement » à l’origine de la suppression ?

En tout état de cause, lorsqu’on étudie un problème, il faut le plus souvent revenir à sa généalogie. Pourquoi le Président Chirac a-t-il proposé au Parlement de suspendre le service national universel en 1997 ?

Passons d’abord en revue la généalogie officielle de la décision. En 1991, le suicide politique de l’URSS sanctionne la fin officielle du Pacte de Varsovie, déjà effective depuis la chute du mur de Berlin dès 1989. La menace du déferlement des hordes rouges blindées et mécanisées à travers les plaines allemandes s’estompe. La classe politique se saisit donc d’une nouvelle question : « comment tirer les dividendes politiques de la paix ? », dans un contexte budgétaire (déjà …) difficile. Un « Livre blanc » sur la Défense daté de 1994 conclut à la possibilité et à l’opportunité de redimensionner et de reconfigurer les forces françaises, terrestres en particulier, dans ce nouveau contexte. On en profiterait pour professionnaliser les forces, moins nombreuses mais avec une durée de service actif plus longue (3 à 5 ans minimum pour les militaires du rang), ce qui permettra une meilleure maîtrise de matériels de plus en plus techniques et sophistiqués.

Cela n’est pas faux, mais cela ne recouvre pas non plus toute la réalité. Passons maintenant à quelques révélations et faisons du journalisme d’investigation … Les deux personnes dont je vais vous parler, et qui ont joué un rôle déterminant dans la décision du Président Chirac, sont aujourd’hui malheureusement décédées. Je ne publierai pas ici leur nom, mais le tout est aisément vérifiable.

En 1995, et faisant suite au Livre blanc sur la Défense, le cabinet de Jacques Chirac demande au Ministère de la Défense, et, de là, à l’état-major des Armées de valider les conclusions du Livre blanc et, en particulier de confirmer, avec des arguments concrets, s’il est faisable et souhaitable de passer au « tout-professionnel » dans les Armées. L’état-major des Armées (Terre/Air/Mer) décide de « repasser le bébé » à l’état-major de l’Armée de Terre, ce qui est logique puisqu’à l’époque la grande majorité des militaires appelés du contingent est affectée pour emploi à l’Armée de Terre, les deux autres Armées faisant déjà massivement appel à des professionnels pour des raisons techniques.

L’état-major de l’Armée de Terre prend, lui aussi, une décision logique. C’est fondamentalement un problème de ressources humaines et le commandement « repasse le bébé » à la Direction des Personnels Militaires de l’Armée de Terre (DPMAT), devenue entre temps Direction des Ressources Humaines de l’Armée de Terre (DRHAT). A la tête de la DPMAT se trouve un général brillant et compétent, dont je tairai le nom, qui a dirigé diverses unités opérationnelles, dont un régiment parachutiste de haute valeur opérationnelle, composé d’appelés du contingent (ce détail est important dans le contexte ; ce général n’est pas a priori un fanatique exclusif de l’armée de métier). Un peu submergé par ses nombreuses prérogatives et obligations, il décide de sous-mandater, pour dégrossir le travail, un colonel (qui finira général lui aussi) avec lequel il a déjà beaucoup travaillé sur de nombreux dossiers, une personne avec laquelle il a une grande complicité professionnelle et même amicale. Notons au passage que ce colonel, futur général, a commencé sa carrière comme deuxième classe engagé volontaire et que, l’armée et les carrières, il en connaît quelque chose …

Le rapport que ces deux officiers produisent auprès de l’Elysée (via l’état-major de l’Armée de Terre, via l’état-major des Armées, via le Ministère de la Défense, qui tous approuvent et contresignent le rapport) conclut à l’opportunité de professionnaliser intégralement les Armées. Bien sûr, il reprend et valide les arguments techniques et financiers du Livre blanc sur la Défense de 1994, mais surtout il fait valoir et explicite la raison impérieuse qui doit motiver cette réforme : le grand remplacement … Il serait suicidaire pour la nation de continuer à former une partie croissante, et potentiellement indigne de confiance en période de troubles, de la population « nationale », à l’utilisation optimale d’armes à feu du type fusil d’assaut ou au maniement des explosifs (rappelons qu’à l’époque la majorité des unités du Génie est constituée d’appelés).

Et c’est pour cela, Mme Ghali, que votre fille est muette, et que Jacques Chirac a décidé d’exonérer la jeunesse « française » des quartiers Nord de Marseille de l’obligation du service militaire. Et il a eu raison, parce que ces deux officiers ont eu la prescience de l’avenir de la société française, il y a exactement trente ans ! ! Parce que la libanisation a précédé et causé la mexicanisation …

Et pour finir, une note d’humour militaire (ça existe). Vous savez pourquoi il y a autant d’imbéciles dans l’armée française ? C’est parce que l’armée recrute des civils.

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