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La poignée de main entre le ministre de l'Intérieur Rösch et Carlos #otd en 1975 ressemble presque à un high five. Avec le départ des terroristes et des otages, la #OPEC prise d'otages sur le sol autrichien était terminée. Ça ne s'est terminé que le 23 décembre à Alger

Otto Rösch, le passé trouble du socialisme autrichien

Alors que le président du Parti patriotique autrichien FPÖ Herbert Kickl est chargé, par le président de la République Alexander Van der Bellen, de former un gouvernement réunissant son parti et les sociaux-chrétiens/conservateurs de l’ÖVP, la presse internationale, comme à chaque victoire enregistrée par le FPÖ, tente de renvoyer ce dernier aux lointaines origines nationales-socialistes de ses fondateurs. Or, si le FPÖ a, en effet, intégré d’anciens nationaux-socialistes dans ses rangs, les deux partis du système, les sociaux-chrétiens/conservateurs de l’ÖVP et les socialistes – devenus en 1991 sociaux-démocrates – du SPÖ ont également emprunté cette voie. Lionel Baland nous conte l’incroyable histoire d’Otto Rösch, national-socialiste sous le IIIe Reich, lié à des activités néo-nationales-socialistes clandestines après la guerre et devenu ensuite ministre socialiste de la Deuxième République autrichienne.

Le dimanche 21 décembre 1975 à 11 h 30, par un matin froid, un groupe d’individus conduits par Ilich Ramírez Sánchez, connu sous le nom de terroriste « Carlos », pénètre, à Vienne, dans le siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), où sont réunis les représentants de différents États. Après avoir tiré des coups de feu dans le plafond, les assaillants séquestrent une soixantaine de personnes. Les agresseurs possèdent un véritable arsenal, transporté dans des sacs de sport et dans des manteaux. Au cours de l’opération, trois personnes sont tuées : un policier autrichien, un agent de sécurité irakien et un économiste libyen. Un des terroristes est blessé et hospitalisé.

Le lendemain, les assaillants, rejoints par celui d’entre eux qui a été hospitalisé, et les otages embarquent, à l’aéroport de Vienne-Schwechat, dans un avion vers l’Algérie. Le terroriste Carlos s’approche du ministre de l’Intérieur autrichien Otto Rösch et lui dit au revoir en lui serrant la main. L’avion décolle et se rend à Alger, où les otages sont finalement relâchés.

Le gouvernement socialiste homogène autrichien de Bruno Kreisky doit alors faire face à de nombreuses critiques au niveau international, portant tant sur le manque de sécurité dans et autour du bâtiment au sein duquel les faits se sont déroulés ainsi que sur la poignée de main entre « Carlos » et Otto Rösch.

Ce dernier a un passé qui peut apparaître pour le moins singulier, mais qui, à cette époque, constitue plus la norme que l’exception.

De la Hitlerjugend au Parti socialiste

Né à Vienne en 1917, Otto Rösch étudie le droit et la philosophie aux universités de Vienne et de Graz. Alors que l’Autriche est aux mains du régime « austro-fasciste », mis en place par les sociaux-chrétiens ennemis du national-socialisme, Rösch est membre, en 1935-1936, de la Hitlerjugend (Jeunesse hitlérienne – HJ). En 1936, il rejoint l’Association des étudiants nationaux-socialistes, illégale. En 1937, il devient un cadre important de la Jeunesse hitlérienne à Graz en Styrie. Il appartient à cette époque à l’État-major de la SA (Sturmabteilung – Section d’assaut, la milice du Parti national-socialiste) à Graz. Après l’annexion de l’Autriche au IIIe Reich, Otto Rösch est, d’octobre 1938 au 15 janvier 1940, enseignant à Traiskirchen au sein d’un internat NPEA (NationalPolitische ErziehungsAnstalt – « établissement d’éducation politique national ») aussi appelé Napola (NAtionalPOlitische LehrAnstalt – « établissement d’enseignement politique national »), visant à la formation de la future élite nationale-socialiste. Il introduit, le 8 octobre 1938, une demande d’adhésion au Parti national-socialiste (NSDAP) et est accepté en son sein le 1 janvier 1940, recevant le numéro de membre 8.595.796. Il devient, au début de l’année 1940, officier professionnel au sein de l’armée. Il est décoré de la croix allemande en or et termine la guerre en tant que capitaine.

Le 8 décembre 1947, Otto Rösch est arrêté à Graz en Styrie par deux membres de la police criminelle pour appartenance à une organisation nationale-socialiste souterraine organisée par Theodor Soucek. Il s’agit de la plus dangereuse organisation illégale nationale-socialiste en Autriche, qui dispose d’une branche politique et d’une branche militaire. Elle est avant tout une organisation d’aide à la fuite des anciens nationaux-socialistes. Elle a également pour objectif de rétablir et de développer les anciennes organisations nationales-socialistes et d’utiliser et d’amplifier les tensions entre les forces qui occupent l’Autriche (soviétiques et occidentales). En cas de conflit entre ces protagonistes, l’organisation se donne pour but d’établir un grand Reich allemand fidèle aux idées nationales-socialistes. Otto Rösch reste huit mois en prison préventive.

Otto Rösch est à cette époque le chef de la censure civile de la zone d’occupation britannique en Styrie et est actif en tant que cadre au sein de l’organisme socialiste qui s’occupe d’aider les personnes qui reviennent au pays après la guerre (soldats, …). Des témoignages de Theodor Soucek et d’autres détenus indiquent qu’Otto Rösch était prévu pour les relations de l’organisation clandestine nationale-socialiste avec les administrations, la police, les partis. De plus, Otto Rösch est accusé d’avoir, à partir de la mi-novembre 1947, conservé chez lui une valise pleine de cartes d’identité, de tampons, de formulaires non remplis, de listes de recherche… Il se justifie en prétendant qu’il ne savait pas ce que cette valise contient. Selon plusieurs témoignages, Theodor Soucek avait prévu d’utiliser Otto Rösch également comme conseiller militaire.

Theodor Soucek et deux autres dirigeants de l’organisation sont condamnés à mort. La sentence est commuée en prison à vie. Après trois années, les trois condamnés sont graciés.

Entre nécessité politique et silence gênant : le cas Rösch comme norme

Otto Rösch nie tout en bloc et est acquitté le 3 juin 1949 lors de son procès par manque de preuves. La même année, son protecteur, le secrétaire du parti socialiste SPÖ de l’État de Styrie Ernst Taurer le propose en tant que secrétaire de l’Association socialiste des représentants municipaux en Styrie et en 1951 pour un siège au Sénat (Bundesrat). Mais de fortes oppositions internes voient le jour, venant de personnes, avant tout au sein du SPÖ de Graz, qui font remarquer le passé d’Otto Rösch (dirigeant des HJ illégales, procès Soucek, déclaration pro-nationale-socialiste après la fin de la guerre). À la suite de longues discussions, Otto Rösch est désigné pour le Sénat. Il est membre du Sénat de 1951 à 1953, député au Parlement de Styrie de 1953 à 1959, député au Parlement de Basse-Autriche de 1959 à 1966, ministre du gouvernement de Basse-Autriche de 1966 à 1970, député fédéral de 1971 à 1983, secrétaire d’Etat à la Défense de 1959 à 1966, ministre de l’Intérieur de 1970 à 1977, ministre de la Défense de 1977 à 1983, président de l’organisation annexe du SPÖ dénommée Association des retraités autrichiens de 1983 à 1991.

Au sein de son ouvrage (non traduit) Mein Österreich. 50 Jahre hinter den Kullissen der Macht (« Mon Autriche. 50 ans dans les coulisses du pouvoir »), le journaliste et écrivain à succès Paul Lendvai, né à Budapest, en Hongrie, au sein d’une famille juive et qui vit depuis 1957 à Vienne et a fréquenté durant un demi-siècle les antichambres de la politique autrichienne, estime que cette situation est le résultat du besoin de jeunes cadres politiques formés, ainsi que du passé familial d’Otto Rösch. Son grand-père, membre du parti social-démocrate SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei – Parti ouvrier social-démocrate), a été maire de Stockerau, député au Parlement de Basse-Autriche de 1918 à 1927 et sénateur de 1927 à 1934. Paul Lendvai met en avant le fait que l’historienne Maria Wirth indique que le passé d’Otto Rösch, complètement connu au sein du parti socialiste SPÖ, n’a pas posé un problème, car Otto Rösch a été considéré comme un exemple de dénazification réussie.

Paul Lendvai estime que le cas Otto Rösch n’est pas isolé et apparaît plutôt comme un parcours normal au sein du SPÖ. Six anciens membres du Parti national-socialiste (NSDAP) ont été ministres dans les gouvernements fédéraux du chancelier SPÖ Bruno Kreisky. Parmi les cadres socialistes anciens membres du Parti national-socialiste figurent, entre 1945 et 1990, un gouverneur d’État fédéré, des ministres d’États fédérés, des députés de parlements d’États fédérés, de nombreux hauts fonctionnaires et directeurs généraux, ainsi que 43 députés fédéraux et sénateurs du SPÖ, alors que le nombre se monte à 51 durant cette période chez les députés fédéraux et sénateurs conservateurs/sociaux-chrétiens de l’ÖVP qui ont été membres du Parti national-socialiste.

© Photo : La poignée de main entre le ministre de l’Intérieur Otto Rösch et Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos en 1975, lors de la prise d’otages du siège de l’OPEP à Vienne.

Sources

Lionel Baland, Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, Éditions des Cimes, Paris, 2012.

Paul Lendvai, Mein Österreich. 50 Jahre hinter den Kullissen der Macht, Haymon Taschenbuch, Innsbruck-Vienne, 2010.

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