C’est l’ÉVÉNEMENT politique de la fin de l’année aux États-Unis. Alors que nous passons les fêtes de Noël, de l’autre côté de l’Atlantique, une immense joute politique a lieu. D’un côté : Elon Musk, Vivek Ramaswamy et les « tech bros » ; de l’autre : les nationalistes américains : America First, Laura Loomer, et des centaines de milliers de compte X. Les deux camps s’affrontent sur les réseaux. L’alliance qui a pourtant porté Trump à la Maison-Blanche risque de s’effondrer avant même que le 47e président élu ne soit officiellement intronisé dans moins d’un mois.
Le visa H1-B met le feu aux poudres
La dispute a éclaté le 25 décembre sur la question des Visa H1-B qui permettent aux grandes entreprises américaines de faire venir des milliers de travailleurs étrangers. La crise remonte néanmoins à début décembre quand des signes avant-coureurs laissaient présager que « la plus grande déportation d’immigrés de l’histoire » promise par Trump, semblait avoir du plomb dans l’aile. Pour le camp MAGA, chauffé à blanc par un an de campagne, c’est une trahison. Le 22 décembre, coup de tonnerre, l’entrepreneur indien-américain Sriram Krishnan est nommé conseiller à la Maison-Blanche pour l’intelligence artificielle. Arrivé avec un visa H1-B dans les années 2000, il est connu pour avoir soutenu l’arrivée en masse d’immigrés indiens dans des emplois clefs de la Silicon Valley. Ce sujet est très sensible au sein de la droite américaine.
Symptôme du déclin des États-Unis pour Emmanuel Todd, la crise de la formation d’ingénieurs, par rapport aux rivaux russe et chinois, est seulement compensée par l’immigration d’Indiens et d’Asiatiques. Pour les nationalistes blancs, dont le nombre de militants explose depuis trois ans, et dont l’influence dépasse désormais les réseaux sociaux, la nomination de Krishnan est une provocation scandaleuse.
Certains bloggeurs affirment qu’entre 2021 et 2024, seuls 6 % des nouveaux emplois dans ces secteurs de haute technologie furent donnés à des hommes blancs. Cette statistique, publiée en 2023 mais qui ressort cette semaine, rajoutant de l’huile sur le feu. L’Américain de base est donc doublement remplacé. On lui explique que l’immigré latino effectue le travail qu’il ne souhaite plus faire, et qu’en plus, désormais, il n’est pas assez qualifié pour les jobs les mieux payés.
Le 23 décembre, Laura Loomer qui fut conseillère de Trump, met le feu aux poudres et déclare que les emplois de la Tech doivent être réservés aux Américains diplômés des STIM (Science, technologie, mathématique et ingénierie). Quand on lui rétorque que l’Amérique a toujours fait venir des génies du monde entier, elle répond le 24 décembre : « Notre pays a été construit par des Blancs européens, pas par des envahisseurs du tiers-monde en provenance d’Inde. »
Elon Musk se lance, à son tour, dans le débat – avec son désormais compère d’origine indienne, Ramaswamy –, en défendant la nomination de Krishnan. Pour Musk, les visas H1-B sont une source de richesse pour les États-Unis, car ils permettent de faire venir « le 0,1 % de génie du monde entier ». Et tout en admettant que ce système pose des problèmes (Trump voulait le supprimer en 2016), il déclare qu’il faudrait doubler le nombre d’immigrés légaux arrivant aux États-Unis à travers ce programme. Pour le camp MAGA, c’est insupportable. Pour lui, Trump a été élu sur un programme de défense de l’identité américaine, d’expulsion massive des immigrés illégaux. Son vice-président Vance a également appelé à arrêter en grande partie l’immigration… légale. Pour Steve Bannon, cette histoire de visa est une « escroquerie des oligarques de la Silicon Valley pour prendre les emplois des citoyens américains ».
Le 26 décembre, en plein débat, Ramaswamy se fend d’un tweet qui a été lu 108 millions de fois et qui va susciter des centaines de milliers de réponses. Dans son texte, il explique aux nationalistes américains pourquoi les visa H1-B sont importants. « Notre culture américaine a vénéré la médiocrité au détriment de l’excellence pendant bien trop longtemps. » Il y critique les années 1990, la culture américaine des bals, des séries TV, et met en avant l’éducation asiatique qui pousse les enfants au succès. Ce tweet qui devait finir le débat et calmer les esprits, sera la cause de la Civil War.
Le nationalisme blanc contre le capitalisme sans frontière
Le tweet de Ramaswamy critiquant la culture américaine va provoquer une vague de haine contre « cet immigré indien », donneur de leçons et contre le système économique qui a fait passer une Amérique à 90 % blanche en 1965 à 55 % en 2024 au nom de la croissance perpétuelle. Certains rappellent que « la Grande Amérique des années 1920-1965 qui a vaincu le Japon et a envoyé un homme sur la Lune, n’avait pas besoin des Ramaswamy ». Les tweets fusent, des nationalistes américains redécouvrent Lothrop Stoddard et sa critique de l’immigration économique asiatique en 1920. Certains remontent même aux Gracques et la question des esclaves et des propriétaires terriens ! Une enquête sur les H1-B est menée, et la conclusion est sans appel : depuis 1990, les capitalistes américains font venir des immigrés dans la Tech pour les payer moins cher et pour avoir un contrôle total sur ces derniers.
Un élément important de cette joute, c’est que le camp nationaliste n’est désormais plus seulement composé de militants sous pseudo sur Internet, mais de professeurs d’université, d’entrepreneurs, d’américains « ordinaires ». Matt Gaetz, un des chefs de l’America First, ancien congressman, déclare que « nous avons accueilli favorablement les tech bros quand ils se sont précipités vers nous (MAGA) pour éviter que le professeur de CE2 choisisse le sexe de leur enfant et le déclin économique de Biden/Harris. Mais nous ne leur avons pas demandé d’élaborer une politique d’immigration. »
Même Nikki Haley, l’opposante de Trump aux primaires, néo-conservatrice, se fend d’un tweet et critique Ramaswamy en déclarant vouloir conserver les emplois aux Américains ! Véritable conversion au nationalisme ou simple tactique politicienne ? Même si son tweet est purement démagogique, le geste est révélateur : désormais prendre parti pour le camp nationaliste rapporte des points.
Musk et Ramaswamy utilisent le même argument : nous devons faire venir des immigrés qualifiés pour continuer à « gagner ». Les nationalistes leur répondent : « Nous ne voulons pas gagner, nous voulons rester américain » ; ou « Mon fils ne travaillera pas 80 heures par semaine ». Nous assistons à un changement de paradigme au sein de la droite américaine. Pour nous, Français, l’Américain de droite a toujours été celui qui privilégiait son porte-monnaie. C’est la fameuse histoire du businessman américain rencontrant un petit pêcheur mexicain.
Tucker Carlson fut l’un des premiers patriotes américains, en 2016, a déclaré sur Foxnews que le programme économique de Bernie Sanders avait de bonnes idées et que l’identité américaine était plus importante que le PIB. Qualifiée de fasciste à l’époque par les démocrates cosmopolites, et de socialiste par la classe bourgeoise républicaine, son opinion s’est néanmoins propagée à une grande partie du clan MAGA.
Elon Musk répond et cite Tesla, Paperclip, et Wernher von Braun. Mais, pour beaucoup, il confirme les thèses des MAGA : Il s’agissait de Blancs européens, avec le même socle culturel que les Américains déjà installés, qu’ils fussent italiens, irlandais anglais ou allemands.
La recherche d’un compromis
L’intérêt de cette dispute n’est donc plus seulement celle d’une critique de l’immigration Elle pointe du doigt le système économique libéral sans-frontiériste, qui, aux USA comme en Europe, écrase les peuples, les remplace au nom du PIB et des profits. Musk perd pied et s’énerve en traitant d’ingrats ces nationalistes blancs, dont la présence sur X, n’est due qu’au rachat de la plateforme par le milliardaire en octobre 2022. Assailli de toute part, il parle même de « raciste », insulte qui jadis faisait loi, mais qui semble, depuis 2020-2021, avoir perdu son efficacité. Le wokisme et le racisme antiblanc sont affaiblis, la peur aurait-elle changé de camp ?
Les MAGA durs renvoient Musk à ses origines et lui rétorquent que l’Afrique du Sud des Boers s’est effondrée à cause de gens comme lui, préférant dans les années 1970, le beurre et l’argent du beurre comme le rappelait Bernard Lugan : une domination politique et économique des populations noires plutôt qu’une vraie séparation contraignant le bourgeois blanc à prendre une femme de ménage et un jardinier boers, quitte à les payer plus cher.
Charlie Kirk, grand artisan de la victoire de Trump, le 28 décembre, tout en critiquant le tweet de Ramaswamy, demande une trêve entre les nationalistes et Musk. Il souligne que ce dernier, en rachetant Twitter, a grandement contribué à la victoire de novembre, à la lutte contre le wokisme et le racisme antiblanc.
Le milliardaire sud-africain, de son côté, cherche à apaiser les tensions en expliquant le 28 décembre sur X qu’il est contre une augmentation de l’immigration légale et que les visas ne concernent que 15 000 personnes. Le fils de Trump et le vice-président, proches des nationalistes, ne se sont pas exprimés. Quant au président Trump, des propos rapportés informent qu’il s’est déclaré en privé pour le système des visas mais dans une version réformée. L’objectif est de maintenir cette alliance des « tech bros » et des nationalistes. Pas pour Laura Loomer, en tout cas, qui déclare : « J’ai hâte du divorce inévitable entre le président Trump et la Big Tech »
Affaire à suivre…
© Photo : Elon Musk / Shutterstock