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L’UE étant trop profondément soumise aux intérêts des États-Unis, la France doit retrouver sa souveraineté

Notre collaborateur Rodolphe Cart a répondu aux question du média « Pustch » sur le courant de pensée « néo-conservateur » dont il évoque l’histoire et l’influence dans son dernier ouvrage publié aux éditions de la Nouvelle Librairie, « La menace néo-conservatrice ». Volonté de diriger le monde au nom de la « destinée messianique » des USA, lobbying agressif, impérialisme culturel et volonté de vassalisation de l’Europe, la stratégie «néo-conservatrice » conserve une importante capacité de nuisance même si Donald Trump semble, du moins dans ses discours, avoir partiellement rompu avec celle-ci.

PUTSCH. Qui sont les néo-conservateurs ?

Difficile de parler des néo-conservateurs sans évoquer l’histoire américaine. Depuis que le Mayflower a déposé en 1620 des pèlerins calvinistes et anglicans sur cette « nouvelle terre », les États-Unis n’ont cessé de penser qu’ils avaient une mission divine, un chemin à suivre. L’idéologie des « pères pèlerins » est un rêve messianique qui se base sur la rupture avec l’Europe pour vivre dans une société purifiée de la corruption du « vieux monde », aristocratique et monarchique.

L’historien Justin Vaïsse divise l’histoire des néo-conservateurs en trois âges. Le premier remonte aux années 1960, quand les futurs néo-conservateurs sont encore démocrates et souvent trotskystes (anti-staliniens). Ils combattent alors le virage gauchiste du libéralisme américain par anticommunisme à l’extérieur et contre la « Nouvelle Gauche » à l’intérieur (droit des minorités, opposition à la guerre du Vietnam, etc.). Le deuxième âge marque la rupture avec le parti démocrate, au nom d’une lutte contre le néo-isolationnisme et d’un soutien à la politique d’endiguement de l’URSS. Au cours des années 1980, la plupart des néo-conservateurs se rallient à Reagan, puis s’ensuit une traversée du désert jusqu’à George Bush fils. Le troisième avatar du néo-conservatisme voit le jour à partir du milieu des années 1990. Ne croyant pas aux organisations multilatérales, ils promeuvent l’interventionnisme américain – ce « wilsonisme botté » (Pierre Hassner) – de la fin du XXe siècle. Cette dernière génération porte des opinions en politique étrangère qui reposent sur l’importance accordée à la force militaire et à la « croisade démocratique ».

RODOLPHE CART : Difficile de parler des néo-conservateurs sans évoquer l’histoire américaine. Depuis que le Mayflower a déposé en 1620 des pèlerins calvinistes et anglicans sur cette « nouvelle terre », les États-Unis n’ont cessé de penser qu’ils avaient une mission divine, un chemin à suivre. L’idéologie des « pères pèlerins » est un rêve messianique qui se base sur la rupture avec l’Europe pour vivre dans une société purifiée de la corruption du « vieux monde », aristocratique et monarchique.

L’historien Justin Vaïsse divise l’histoire des néo-conservateurs en trois âges. Le premier remonte aux années 1960, quand les futurs néo-conservateurs sont encore démocrates et souvent trotskystes (anti-staliniens). Ils combattent alors le virage gauchiste du libéralisme américain par anticommunisme à l’extérieur et contre la « Nouvelle Gauche » à l’intérieur (droit des minorités, opposition à la guerre du Vietnam, etc.). Le deuxième âge marque la rupture avec le parti démocrate, au nom d’une lutte contre le néo-isolationnisme et d’un soutien à la politique d’endiguement de l’URSS. Au cours des années 1980, la plupart des néo-conservateurs se rallient à Reagan, puis s’ensuit une traversée du désert jusqu’à George Bush fils. Le troisième avatar du néo-conservatisme voit le jour à partir du milieu des années 1990. Ne croyant pas aux organisations multilatérales, ils promeuvent l’interventionnisme américain – ce « wilsonisme botté » (Pierre Hassner) – de la fin du XXe siècle. Cette dernière génération porte des opinions en politique étrangère qui reposent sur l’importance accordée à la force militaire et à la « croisade démocratique ».

PUTSCH. Sont-ils des interventionnistes ou des isolationnistes ?

RODOLPHE CART : Aux États-Unis, pour simplifier, on peut dire qu’il existe deux traditions géopolitiques : l’isolationnisme et l’interventionnisme. Celle des isolationnistes affirme, comme le sixième président John Quincy Adams (1767-1848), qu’il ne faut pas aller « à l’étranger chercher des monstres à abattre ». Et donc celle des interventionnistes qui, comme l’ont défendu des présidents comme Theodore Roosevelt ou même Woodrow Wilson, préconisent d’intervenir dans les affaires d’autrui, et même de façon musclée si la situation le demande (du moins à leurs yeux). Les néo-conservateurs constituent les troupes de cette deuxième tradition.

Le lobby néo-conservateur américain s’est particulièrement manifesté lors de l’élection de George W. Bush. À l’époque, le président des États-Unis ne cache pas sa volonté de « diriger le monde » et d’installer une hégémonie unipolaire en faveur de son pays. Ses alliés néo-conservateurs accompagnent et influencent cette politique sur le plan extérieur. Bien qu’ils eussent déjà tenu un rôle important sous la mandature de Reagan dans les années 1980’s, une fois au pouvoir avec Bush, ils influencent grandement, depuis les coulisses de la Maison-Blanche, la politique de la plus grande puissance du monde.

PUTSCH. Quels sont, en Europe, les domaines où s’exerce la mainmise des États-Unis ? Et ses caractéristiques ?

RODOLPHE CART : Cette mainmise est diverse et s’accentue à mesure que les pays européens prennent du retard (technologique, économique, militaire, en matière de soft power, etc.) sur les États-Unis. Mentionnons déjà la dépendance militaire, car l’invasion de l’Ukraine par la Russie a révélé la forte dépendance des Européens à l’égard des États-Unis en matière de sécurité. Les Européens n’arriveront jamais à se mettre d’accord sur des questions stratégiques à cause d’intérêts divergents et se tourneront toujours vers Washington pour la direction à prendre. La France, dans cette Europe, est condamnée. Exemple typique, la guerre en Ukraine s’est accompagnée d’un renforcement du contrôle des États-Unis sur l’Europe à cause du remplacement de l’approvisionnement en gaz russe par du gaz de schiste américain. Les programmes de l’Union européenne (UE) conçus à l’origine pour renforcer la base industrielle et militaire de l’Europe sont désormais utilisés pour acquérir des armes fabriquées aux États-Unis. Encore récemment, la Roumanie a signé un contrat pour 32 avions de combat furtifs F-35 aux États-Unis, un investissement militaire historique pour ce pays voisin de l’Ukraine qui devient le 20e membre d’un cercle d’acheteurs en expansion. Sous la pression des États-Unis, de nombreux pays européens ont contribué à l’escalade de la guerre en Ukraine au lieu de faire pression pour une solution politique pour parvenir à la paix.

Élément rarement signalé, la haute bourgeoisie européenne (pour placer sa richesse) et les grandes entreprises choisissent dorénavant de plus en plus les sociétés d’investissement de Wall Street, liant leur avenir à l’hégémonie de l’Empire. Ces ponts politiques, économiques et culturels – via du lobbying et des organisations d’influence – sont favorisés car l’Europe demeure un objectif pour maintenir un marché pour les États-Unis, aussi bien pour des produits de grande consommation que sur le plan des idées et des questions politiques. Les capitaux fuient littéralement la France et l’Europe. D’ailleurs, Washington a commencé à faire pression sur les entreprises du Vieux Continent pour qu’elles se délocalisent aux États-Unis. Comme l’a dit le ministre allemand de l’Économie et de l’Action pour le climat, Robert Habeck, les États-Unis « accaparent les investissements de l’Europe », c’est-à-dire qu’ils promeuvent activement la désindustrialisation de la région.

La dépendance de l’UE vis-à-vis des États-Unis s’observe aussi dans le domaine numérique. La loi américaine de 2018 sur la clarification de l’utilisation légale des données étrangères (CLOUD) et la loi américaine de 1978 sur la surveillance du renseignement étranger (FISA) permettent aux entreprises américaines d’accéder largement aux télécommunications de l’UE, y compris aux données et aux appels téléphoniques, leur donnant accès aux secrets d’État. Nous sommes continuellement espionnés. Après les déclarations hostiles de Trump concernant le Groenland, certains ont ainsi rappelé cyniquement les anciennes révélations de l’aide apportée par les espions danois à la NSA américaine pour surveiller des dirigeants européens.  On sait, depuis longtemps, que ce pays scandinave joue pour les services américains de renseignement.

PUTSCH. Peut-on parler d’empire américain ? Avec ceci de particulier qu’il ne supporte pas le poids de la gestion de ses colonies ?

RODOLPHE CART : Bien sûr. Prenons le cas militaire, qui est un exemple de ce lien de subordination entre un suzerain et un vassal. Comment peut-on appeler autrement un continent sur lequel sont positionnés plus de 200 bases militaires et 60 000 soldats étrangers, par le biais de l’OTAN ? L’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright parlait des fameux « trois D » : ne pas « dissocier » la prise de décision européenne de l’OTAN, ne pas « dupliquer » les efforts de l’OTAN, ne pas « discriminer » les membres de l’OTAN non-membres de l’UE. Les États-Unis nous imposent, avec l’aval des élites française et européenne, la « complémentarité » aux actions de défense européennes, ce qui signifie que les membres européens de l’alliance peuvent agir avec les États-Unis mais pas de manière indépendante.

Cette relation est d’ailleurs à sens unique. Pour assurer cette dépendance, les États-Unis s’abstiennent de partager les principales technologies militaires avec les pays européens acheteurs du matériel américain. Les Européens peuvent bien acheter des chasseurs F-35, les États-Unis conservent la main sur la partie des données et des logiciels.

Mais l’Empire, pour mieux se tourner vers la Chine, qui devient son principal adversaire, désire que ses vassaux se prennent en main – sans pour autant remettre en cause la relation verticale qui les lie. Les États-Unis ont donc demandé, depuis de nombreuses années, aux gouvernements européens d’augmenter leurs dépenses militaires. Les diverses menaces de Trump concernant le maintien de l’OTAN ont terrifié les Européens. En 2022, les dépenses militaires en Europe occidentale et centrale ont atteint 316 milliards d’euros, revenant à des niveaux jamais vus depuis la fin de la première guerre froide.

PUTSCH. L’UE peut-elle se soustraire à l’emprise américaine ? Ou la France seule ? Comment y remédier ou y échapper ?

RODOLPHE CART : Je ne crois pas à la sortie de crise par l’UE. La source du mal est trop profonde. On pourrait mentionner ces exemples innombrables de personnalités de l’UE qui pantouflent ensuite dans des banques ou des institutions américaines. Bruxelles est en outre la capitale du lobbying en Europe, où les grandes entreprises américaines, groupes d’intérêt de l’industrie, consultants en matière de lobbying et cabinets d’avocats dépensent des centaines de millions d’euros chaque année pour s’assurer que la politique de l’UE soit conforme à leurs intérêts. Les passages du président sortant de la Commission, José Manuel Barroso, chez Goldman Sachs, ou de la commissaire Neelie Kroes, chez Uber et Bank of America, sont des précédents marquants. Encore récemment, l’ancien commissaire européen Thierry Breton a rejoint un conseil consultatif de Bank of America.

Dernièrement, on a aussi vu les États-Unis accroître la pression sur divers pays, entreprises et institutions de l’UE pour réduire ou mettre fin à la coopération avec des projets chinois, et un certain nombre de pays européens ont accepté sans broncher de rejoindre cette « guerre technologique » contre la Chine. D’ailleurs, toute une partie des nations européennes est très satisfaite de cette emprise américaine. L’UE subirait de plein fouet un conflit entre les États-Unis et la Chine, car une part importante des exportations de l’UE vers les États-Unis contient des intrants chinois et, inversement, les exportations de biens de l’UE vers la Chine contiennent souvent des intrants américains. Cette pression a porté ses fruits : dix États de l’UE ont restreint ou interdit à la société technologique chinoise Huawei d’accéder à leurs réseaux 5G. Nombre de pays européens sont soumis et l’acceptent tout à fait. Encore un exemple, les Pays-Bas ont récemment bloqué les exportations de machines de fabrication de puces vers la Chine par la grande société néerlandaise de semi-conducteurs ASML.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, aucune puissance étrangère n’a exercé plus de pouvoir sur la politique européenne que les États-Unis. Or, avec la montée du sud global et des Brics, nous nous devons de penser à nos intérêts de Français, et non à ceux des autres Européens. Oui, nous sommes une nation européenne et occidentale, mais pas que. Si la France se laisse enfermer dans un bloc dirigé par les États-Unis, non seulement elle renforcera sa dépendance technologique vis-à-vis de ce pays, mais nous continuerons d’accentuer notre dépendance globale à des institutions internationales au détriment de notre souveraineté. Redevenir libre impose de repenser notre appartenance à l’OTAN, à l’UE et aux divers liens européens et atlantistes qui nous enchaînent aujourd’hui. Sans pour autant cesser certaines alliances avec d’autres nations européennes et les États-Unis.

Source : Putsch Media

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