ÉLÉMENTS : Vous qui avez consacré un ouvrage aux « néocons », La Menace néo-conservatrice. Une France et une Europe sous influence (La Nouvelle Librairie), comment expliquez-vous la permanence de ce courant de pensée pourtant révoqué par Trump, comme un vieux logiciel. Les atlantistes ne sont-ils pas orphelins ? Il y a vraiment un océan – c’est le cas de le dire – entre eux et les Américains…
RODOLPHE CART. La Nouvelle Droite et le courant nationaliste français ont produit, depuis des décennies, une critique nécessaire et intelligente de la domination américaine sur le reste de l’Occident (ingérences, domination juridique et financière, soft power, etc.). Lors des prises de positions internationales de Trump – notamment son rapprochement avec la Russie –, la réaction du monde libéral et atlantiste français est le meilleur témoignage de son incurie. Les emportements contre leur ancien « allié » ont viré à l’hystérie, quand nos « sphères » ne furent pas surprises de ces revirements – d’ailleurs annoncés lors de la campagne de Trump. Et une fois de plus, les atlantistes sont à la remorque de l’Histoire. Trump et la guerre russo-ukrainienne annoncent le temps du retour des nations, du protectionnisme économique, de l’isolationnisme géostratégique, d’un monde multipolaire et néo-westphalien. Alors que nous devrions profiter de cette ouverture pour renouer et établir des relations avec les États-Unis et la Russie (sans naïveté), les élites eurocrates nous condamnent à des lubies d’un autre temps : idée du monde libre, universalisme méthodique, discours sur les Droits de l’homme, Union européenne, etc. Pire, je crains bien que l’UE et les gouvernements européens deviennent la base arrière des Démocrates et des néo-cons’ américains, le temps qu’il se fasse la cerise pour prendre leur revanche contre le mouvement Maga.
ÉLÉMENTS : Louis parle le langage de son père, l’un comme l’autre fervents partisans du métissage et de la discrimination positive. Qu’est-ce qui les distingue d’Olivier Faure, de Delphine Ernotte ou de Jean-Luc Mélenchon ? Une telle ligne n’est-elle pas contre-cyclique, à l’heure de la montée des partis populistes anti-immigration ?
RODOLPHE CART. Elle l’est totalement. Le débat entre une conception civique et ethnique de la nation a longtemps agité (et même encore) le camp national. On peut légitimement trouver des arguments pour les deux points de vue (favoriser la nationalité par le sang hérité ou versé). En revanche, les discussions théoriques doivent tenir compte des réalités : vieillissement de la population autochtone, renversement de la pyramide des âges, explosion démographique de l’Afrique noire, islamisation de territoires entiers en Europe, ingérence des pays par leur diaspora (Algérie, Turquie, etc.). En France, les derniers gouvernements ont exclusivement misé sur une conception civique de la nation, et ce fut le désastre que l’on connaît. C’est aujourd’hui un risque mortel pour le pays. Si la balance ethnique/civique doit être rééquilibrée dans un sens ethnique, cela doit se faire en inversant le rapport entre droit du sang et droit du sol, en parlant de préférence nationale, en reconnaissant qu’il existe un peuple historique et qu’il doit rester majoritaire, en parlant de remigration, etc. Les problèmes qui viendront ne se régleront certainement pas à coups d’uniforme à l’école, de levée des couleurs et de service militaire généralisé. Les enjeux sont trop importants pour que ce simple mesurettes puissent y répondre.
ÉLÉMENTS : Raphaël Glucksmann pensait-il à Louis Sarkozy lorsqu’il a dit : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement, que quand je me rends en Picardie » ? Cette phrase ne résume-t-elle pas une élite hors-sol, en rupture avec le pays réel ? La fracture sociale n’est-elle pas en train de devenir une fracture identitaire ?
RODOLPHE CART. Ici, permettez-moi de faire une réponse marxiste : Louis est tout simplement le produit de ces conditions matérielles d’existence et du milieu social dans lequel il a grandi, évolué. Je reviens rapidement, dans mon livre, sur son entourage. Nous sommes en plein dans la bourgeoisie de droite de l’Ouest parisien, avec une tendance familiale à l’ouverture internationale et cosmopolite. Toutefois, je ne sonde ni son cœur ni ses reins. Il se peut que l’affection de Louis pour la France soit sincère, pourquoi pas. En revanche, si Louis Sarkozy aime la France, il ne la connaît pas pour autant. Là encore, rien n’est sa faute, mais bien plutôt de son parcours de vie de bourgeois qui a suivi une éducation dans une école militaire aux États-Unis. Louis est le symbole d’une partie de l’élite qui – même lorsqu’elle est de droite – ne comprend pas le pays, et surtout qui reste inaudible pour une partie croissante de la population.
ÉLÉMENTS : Vous classez Louis Sarkozy parmi les libéraux-conservateurs, un segment déjà largement encombré, quelque part entre le macronisme et la droite orléaniste. Peut-on encore exister politiquement sous ces latitudes ?
RODOLPHE CART. Vous avez raison : beaucoup d’appelés et peu d’élus. Aujourd’hui, quelles sont les différences concrètes entre Éric Zemmour (Reconquête !), Marion Maréchal (IDL), Éric Ciotti (UDR) et toute la ribambelle des membres Les Républicains (David Lisnard, Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy), qui se revendiquent tous de droite, conservateurs et libéraux ? Un autre point les rassemble tous : leur propension à dénoncer le Rassemblement national qui incarnerait une « fausse droite » et qui serait surtout un parti « socialiste » ou « socialisant », comme le reste de l’échiquier politique français. D’ailleurs, il est amusant de voir comment cette « droite très très sérieuse » se met à reprendre les réflexes de la gauche radicale qui dénonce volontiers les « trahisons de la fausse gauche ». En tout cas, il n’existe présentement qu’un parti de masse et possiblement au pouvoir demain en France : le RN. Ce parti a compris qu’il faut articuler les demandes sociales qui s’expriment « en bas » de manière à susciter une contre-hégémonie (culturelle et politique) à l’hégémonie d’« en haut », tout en maintenant un discours sur l’identité, sur l’indépendance nationale et l’insécurité culturelle. Même si le parti de Marine Le Pen doit compter sur une partie de la classe dirigeante et des retraités pour accéder au pouvoir, sa mainmise sur les classes moyennes et populaires lui permet d’être la seule alternative crédible à l’après-Macron – sauf si ce dernier nous sort une dernière pirouette pour se maintenir.
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Rodolphe Cart, De quoi Louis Sarkozy est-il le nom ?, Perspectives libres, 106 p., 14,50 €.