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L’ombre politique de Jörg Haider plane à nouveau sur l’Autriche

Arrivé en tête des élections législatives autrichiennes, le FPÖ, le Parti de la liberté d’Autriche, est renvoyé par la plupart des commentateurs à de lointaines origines nazies. C’est aller un peu vite avec la politique autrichienne et oublier que les socio-démocrates, drapés dans leur pseudo-virginité politique, ne se sont jamais privés de recycler d’anciens nationaux-socialistes. Lionel Baland, qui a signé un « Jörg Haider le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche » (2012), rappelle quelques vérités dérangeantes aux donneurs de leçon.

Le vendredi 27 septembre 2024, le parti patriotique autrichien FPÖ, dirigé par Herbert Kickl, tenait son rassemblement de fin de campagne électorale pour les élections législatives du dimanche 29 septembre sur la Stephansplatz, dans le centre de Vienne, la capitale du pays. Herbert Kickl précisait que cette réunion se déroulait dans la lignée de celle tenue presque exactement 25 ans plus tôt au même endroit par Jörg Haider avant le scrutin qui avait conduit le FPÖ à la deuxième place, juste devant les conservateurs/sociaux-chrétiens de l’ÖVP et derrière les sociaux-démocrates du SPÖ. Le SPÖ et l’ÖVP n’ayant pu conclure, au vu de leurs divergences, un accord de coalition, un gouvernement ÖVP-FPÖ avait vu le jour au début de l’année 2000. Un quart de siècle plus tard, la situation est différente. En effet, Jörg Haider ayant joué autrefois le rôle de brise-glace, l’avènement d’un futur gouvernement dirigé par le FPÖ n’est plus un tabou, bien que les partis du système, l’ÖVP et le SPÖ, désirent éviter cette situation et que le président de la République issu du parti écologiste Alexander Van der Bellen ne penche pas non plus dans le sens du FPÖ.

Dimanche dans la soirée, les résultats complets tombaient. Le FPÖ, arrivé premier, décroche, avec 28,9 %, 57 sièges sur 183. L’ÖVP reçoit 51 sièges de députés, le SPÖ 41, les libéraux de NEOS 18 et les écologistes 16.

Les sociaux-démocrates du SPÖ ne désirent pas gouverner avec le FPÖ et les sociaux-chrétiens/conservateurs de l’ÖVP n’acceptent de s’allier au FPÖ qu’à condition que celui-ci ne soit plus sous la houlette de Herbert Kickl. En conséquence, l’ÖVP et le SPÖ devraient tenter de conclure une alliance, mais étant donné que ces deux partis disposent ensemble d’une très courte majorité, ils devront peut-être trouver un troisième partenaire de coalition, soit les libéraux de NEOS, soit les écologistes. Cependant, les gouverneurs ÖVP des États de Salzbourg, de Haute-Autriche et de Basse-Autriche pourraient être favorables à un gouvernement fédéral FPÖ-ÖVP car eux-mêmes sont à la tête d’un exécutif au sein duquel prennent part des ministres FPÖ.

Les électeurs autrichiens ont sanctionné la politique du gouvernement sortant rassemblant l’ÖVP et les écologistes. L’immigration incontrôlée et ses conséquences en matière de délinquance, le souvenir des mesures prises lors du confinement covidien, l’inflation, les difficultés financières rencontrées par les ménages et le chômage, produit de la mondialisation ultralibérale, ont pesé dans la balance. Les sociaux-démocrates du SPÖ, bien que dans l’opposition, ne sont pas arrivés à tirer parti de la situation et ont obtenu leur plus mauvais score historique.

Incidents en tous genres

Au fil de ses victoires, le FPÖ a rencontré diverses difficultés. Ainsi, au début de l’année 2000, lorsque ce parti, arrivé deuxième, a formé un gouvernement avec les sociaux-chrétiens/conservateurs de l’ÖVP, arrivés troisièmes, il a été contraint, sous la pression internationale, de laisser à ces derniers le poste de chancelier qui revenait au FPÖ et le dirigeant du parti, Jörg Haider, a été obligé de ne pas prendre part au gouvernement fédéral. Il s’est alors retiré en Carinthie dont il était le gouverneur.

Lorsqu’en 2008, les deux partis patriotiques, le FPÖ et le BZÖ – dirigé par Jörg Haider qui avait fait sécession du FPÖ –, ayant gagné les élections législatives, devaient former ensemble un gouvernement avec l’ÖVP, Jörg Haider s’est tué en Carinthie dans un accident de voiture. Un gouvernement SPÖ-ÖVP a alors été formé.

En 2019, alors que le FPÖ prenait part à un gouvernement avec les conservateurs de l’ÖVP, le complot médiatique monté à grands frais Ibizagate a conduit à la chute du gouvernement et du vice-chancelier et président du FPÖ Heinz-Christian Strache, à la suite de la prétention du chancelier ÖVP Sebastian Kurz de permettre à son parti de récupérer le ministère de l’Intérieur qui se trouvait entre les mains de Herbert Kickl du FPÖ.

Nazification

Au lendemain de chaque victoire électorale du FPÖ, la presse internationale du système se fait un plaisir de raconter que « le FPÖ a été fondé par d’anciens nazis », omettant de signaler que la VdU – Verband der Unabhängigen –, l’ancêtre du FPÖ, a été créée par Viktor Reimann, qui a été membre d’un mouvement de résistance au national-socialisme et emprisonné pendant la guerre pour son opposition au régime1 et Herbert Alois Kraus, très critique après la guerre envers le national-socialisme. De plus, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les anciens membres du parti national-socialiste NSDAP ont été recyclés massivement par le SPÖ, dénommé à l’époque Sozialistische Partei Österreichs et rebaptisé en 1991, à la suite de la chute du Rideau de fer à l’Est, Sozialdemokratische Partei Österreichs, mais aussi par les sociaux-chrétiens/conservateurs de l’ÖVP, dont les ancêtres politiques ont, par ailleurs, mis en place entre 1934 et 1938 le régime « austrofasciste » d’Engelbert Dollfuss auquel a succédé Kurt Schuschnigg.

Ainsi, le 15 janvier 1996, Jörg Haider, président du FPÖ, déclarait au Parlement autrichien à propos du SPÖ : « Un parti, qui forma en 1971 un gouvernement et à propos duquel un article est paru dans le Furche du 24 avril 1971 sur un scandale aux Pays-Bas parce que le ministre de l’époque [Leopold] Gratz [années 1980] dut se justifier devant la presse néerlandaise, parce qu’autant d’anciens nazis siégeaient au sein du gouvernement socialiste2 et qu’un quotidien néerlandais demanda : “Trouvez-vous juste que 25 ans après la fin de la guerre dans un pays libéré, que l’Allemagne a vaincu et occupé, presque un tiers des membres du gouvernement soient d’anciens nationaux-socialistes ? Oskar Weihs, Otto Rösch, Josef Moser, Erwin Frühbauer et le ministre de l’Agriculture Öllinger.” Le ministre Gratz dut répondre, penaud : “Ce n’est pas nécessaire qu’autant d’anciens nazis soient représentés dans un tel gouvernement.3” »

© Photo : Simlinger / Shuterstock. Jörg Haider, à la tribune du FPÖ à Vienne le 11 juin 2004

Lionel Baland, Jörg Haider le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, Collection « Politica », Éditions des Cimes, Paris, 2012.

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1. Roman Karl Scholz, avec qui Viktor Reimann a fondé le mouvement clandestin de résistance, a été exécuté par pendaison pour haute trahison.

2. Ce gouvernement était composé uniquement de ministres socialistes (SPÖ) ou sans parti.

3. Lionel Baland, Jörg Haider le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, Collection « Politica », Éditions des Cimes, Paris, 2012, p. 173.

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