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Israël-Palestine : la partition est la seule solution

Israël-Palestine : la partition est la seule solution

L’embrasement du Moyen-Orient mérite un débat serein. À cet égard, je me félicite qu’« Éléments » soit l’un des rares médias à autoriser ce type de polémique, sans invectives, chantage à l’émotion ni noms d’oiseaux. Une gageure. Gilles Carasso m’a répondu fort courtoisement dans son article « Non, Israël n’est pas dirigé par des “néo-cons” » et je lui répliquerai sur le même ton.

Levons un premier malentendu. En fustigeant les néo-conservateurs, je visais moins Benyamin Netanyahou que les experts de plateau croyant naïvement dans la pacification du Moyen-Orient par des assassinats ciblés. Malhonnêtes ou candides, ceux-là croient les opinions publiques arabo-musulmanes si malléables qu’elles se plieraient aux raisons d’Israël sous les décombres laissés par Tsahal.

Passons au reste de sa réfutation. Sciemment ou non, Gilles Carasso emprunte plusieurs arguments au psychanalyste Daniel Sibony, qui vient de commettre un essai aussi radical que stimulant – Les non-dits d’un conflit Le Proche-Orient après le 7 octobre (Intervalles, 2024). J’examinerai donc leurs démonstrations respectives pour y répondre d’un seul jet.

D’un point d’accord, nous tirons des conclusions partiellement opposées : le conflit israélo-palestinien est (quasi) insoluble. Inextricable. Chacune des parties avance ses souffrances, ses droits légitimes et son indignation face aux crimes de l’autre camp. Gardons-nous de nous jeter les morts en pâture. En quantité (quel mot affreux…), la balance penche en défaveur d’Israël, dont les frappes dites « de précision » multiplient les victimes collatérales, de Gaza à Beyrouth. Cela dit, les atrocités du 7 octobre 2023 (pour ne citer qu’un exemple : des femmes violées, éventrées et mutilées) montrent la barbarie de certaines foules palestiniennes chauffées à blanc au point d’avoir dépassé les espérances sanguinaires du Hamas.

La nécessité de se séparer

Comme Gilles Carasso, Daniel Sibony appuie sa défense inconditionnelle de l’État hébreu sur ce qu’il nomme la « dimension ontologique » du conflit, c’est-à-dire le refus absolu d’une « souveraineté juive » en terre d’Israël, refus qui serait profondément ancré dans la conscience collective islamique et à l’origine de l’antijudaïsme musulman. Sans verser dans la disputatio théologique, concédons à ce brillant arabisant que le Coran et les hadiths (dits prophétiques) anathémise juifs et chrétiens comme des « falsificateurs » de la sainte écriture, étant entendu que l’islam constitue LA seule religion vraie. Selon Daniel Sibony, de là découle le « complexe du second-premier » qui affecterait l’ensemble des musulmans. Ces derniers refouleraient l’antériorité de la révélation judaïque. Une religion étant ce qu’on en fait, concédons que le traitement des minorités, et singulièrement des Juifs en terre d’islam, réduits au statut de dhimmis ou poussés vers la sortie en 1967, infirme le cliché vivre-ensembliste de la « religion de paix et de tolérance ».

Partant de ce constat, Daniel Sibony et Gilles Carasso jugent déraisonnable, et même suicidaire pour Israël, la création d’un État palestinien qui servirait de rampe de lancement aux razzias de demain. Là encore, ils marquent un point. Profitant au Hamas, l’évacuation des implantations de la bande de Gaza en 2005, quelles qu’aient été les calculs d’Ariel Sharon pour affaiblir l’Autorité palestinienne, leur donne apparemment raison. Vingt ans de perdus au service du ressentiment n’ont pas développé ce bout de territoire. Et c’est une litote. Les pro-israéliens argueront de surcroît que le nationalisme palestinien est né de sa rivalité avec l’État juif, puis répèteront urbi et orbi que, de 1948 à 1967, l’Égypte et la Jordanie contrôlaient Gaza et la Cisjordanie sans la moindre velléité d’y fonder un État indépendant. Et alors ? Faut-il inlassablement l’expliquer aux millions de palestiniens désespérés, humiliés et parfois fanatisés ? Cette rengaine va-t-elle résoudre le schmilblick ?

En guise d’alternative, Daniel Sibony propose d’accorder l’autonomie à des territoires palestiniens démilitarisés avant de leur imposer une période probatoire ouvrant la voie à un État palestinien. Sans forfanterie, je trouve ce scénario excessivement optimiste. Car s’il y a aujourd’hui un seul point d’accord entre les Israéliens, les Palestiniens et leurs voisins arabes, c’est bien la nécessité de se séparer. L’utopie d’un Moyen-Orient apaisé par le doux commerce ne tient pas, le 7 octobre ayant prouvé ce que donne la promiscuité dans un contexte de guerre, fût-elle larvée : les employés gazaouis des kibboutz alentours ont exploité leur connaissance du terrain pour repérer, assassiner, massacrer.

Et si on essayait les frontières

Quand l’innommable se produit, les ressorts politiques de l’affrontement semblent bien dérisoires. D’où la comparaison de Gilles Carasso : que ferait la France si elle était quotidiennement assaillie de missiles venant de Belgique ? Hélas, le parallèle ne tient pas, car Paris et Bruxelles ne nourrissent aucun contentieux territorial. En revanche, outre-Quiévrain, de manière infiniment moins tragique, Francophones et Néerlandophones se disputent la primauté dans le royaume, au point que les seconds auraient sans doute déjà fait sécession si le tracé de la frontière linguistique n’était problématique.

Dans le contexte proche-oriental comme ailleurs, des populations qui ne veulent pas vivre ensemble ont vocation à se séparer. Comment ? Osons le mot : des frontières. Daniel Sibony objecterait que le processus de paix n’a abouti qu’à l’essor du terrorisme palestinien. Qu’il me permette ici une divergence de lecture : c’est précisément son enlisement, couplé à l’impéritie de la mal-nommée Autorité palestinienne et à l’intransigeance d’une partie des dirigeants israéliens qui a engendré les drames du 7 octobre. À force de répéter sur tous les tons qu’il n’avait aucun interlocuteur, le grand tacticien et piètre stratège Netanyahou a rendu sa prophétie autoréalisatrice. Exit l’OLP régnant sur quelques portions de la Cisjordanie, ses millions de dollars détournés et son président cacochyme. Cruellement, on sait ce que la politique pro-Hamas du Premier ministre a coûté aux civils israéliens l’an dernier.

Au risque de me répéter, Tsahal et le Shin Beth pourront tuer tout l’état-major du Hamas et du Hezbollah, la guerre ne fera que s’étendre par un grand feu grégeois. Encore une fois, le mot-clé est celui de frontières. Non qu’un miracle se produise à l’avènement d’un éventuel État palestinien. Mais si le niveau de frustration des Palestiniens décroissait, les mouvements les plus radicaux, à carburant islamo-nationaliste (si, si, Hamas comme Jihad islamique teintent leur violence d’une rhétorique nationaliste afin de séduire les masses palestiniennes) auraient moins de vent dans les voiles.

Couper le cordon

D’anciens généraux israéliens peu portés sur le pacifisme, dont le chef de l’opposition Yaïr Golan, ont compris ce que le pourrissement du conflit coûtait à leur patrie. Sans illusions sur la possibilité d’un dialogue avec le Hamas et le Hezbollah, cet ex-officier préconise la partition entre deux peuples qui ne veulent pas vivre ensemble. Qu’ils veulent faire d’Israël une démocratie libérale à l’anglo-saxonne ou une quasi-théocratie, ses citoyens juifs tiennent à conserver une majorité démographique juif au sein de leur territoire. Cette revendication on ne peut plus légitime est évidemment incompatible avec l’actuelle annexion de facto des territoires palestiniens.

De l’autre côté, une grande partie des Palestiniens ressentent dans leur chair la méchante sentence d’Azmi Bishara : « Israël est un État juif et démocratique. Démocratique pour les Juifs et Juif pour les Arabes. » Ancien militant du Parti communiste israélien, ce dernier voit dans le « checkpoint » le symbole de l’humiliation quotidiennement infligée aux habitants de Cisjordanie allant travailler en Israël au prix d’heures de contrôle. Les Israéliens argueront que leur sécurité est à ce prix. Tous ont raison. C’est pourquoi il faut couper le cordon et, si la prolifération des colonies en Cisjordanie l’autorise encore, encourager les deux parties à la partition. Comme dirait un célèbre fumeur de cigares, l’option à deux États est la pire… à l’exception de toutes les autres. 

© Photo : Shutterstock – Anas Mohammed. Une palestienne retourne dans sa maisons détruites après une opération militaire israélienne à l’est de Deir Al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 29 août 2024.

Lire aussi :
Israël-Liban : les néo-cons, ça ose tout ! par Daoud Boughezala
Non, Israël n’est pas dirigé par des « néo-cons », par Gilles Carasso


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