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Benyamin Netanyahou, Israël-Liban : les néo-cons, ça ose tout !

Israël-Liban : les néo-cons, ça ose tout !

Croire qu’Israël va remodeler le Moyen-Orient à son avantage par la force relève de l’illusion. En vérité, le discours néoconservateur qui légitime la politique de Benyamin Netanyahou révèle une méconnaissance profonde de la région. Vingt ans après le fiasco américain en Irak, les néocons n’ont décidément rien compris aux sociétés arabo-musulmanes.

Ah, le nouveau Moyen-Orient ! Souvenez-vous, à la chute de Saddam Hussein (2003), les néoconservateurs autour de George W. Bush s’enthousiasmaient : comme l’Europe centrale après l’effondrement du mur de Berlin, le monde arabe allait se convertir à la démocratie et signer la paix des braves avec Israël. Hallelujah !

Las, ils ont livré l’Irak à la guerre civile et replongé l’Afghanistan dans le chaos. Car ces idéologues messianiques, ex-trotskistes recyclés dans une version impérialiste de la révolution permanente, ne connaissaient des sociétés arabo-musulmanes que la diaspora expatriée aux États-Unis. Or, dans des pays où le principe un homme = une voix n’est pas réellement ancré, les institutions imposées d’en haut produisent au mieux « des démocraties sans démocrates » (Ghassan Salamé). Au pire, des guerres intestines.

À l’éclosion des printemps arabes (2011), les atlantistes David Cameron et Nicolas Sarkozy ont chassé – et assassiné – le satrape Kadhafi pour y installer un gouvernement fantoche régnant péniblement sur une moitié du pays, désormais divisé entre Tripolitaine et Cyrénaïque. En Syrie, l’appui des Occidentaux aux franges prétendument modérées de l’opposition à Bachar al-Assad s’est heurté aux alliés du régime baathiste (Russie, Iran, Hezbollah). Comme en Irak, l’absence de sentiment national enraciné dans la société et la guerre de tous contre tous ont profité aux plus sectaires. Dans les prisons américaines en Irak, Daech a surgi comme l’enfant monstrueux né de la fusion entre les anciens membres des services de sécurité de Saddam Hussein et des djihadistes d’Al-Qaïda. Le démantèlement de l’État irakien a donc profité aux plus extrémistes, semant sectarisme et désolation parmi les populations, notamment chrétiennes, yazidies ou kurdes. Beau résultat !

« Les autres ne pensent pas comme nous »

Aujourd’hui, une rhétorique néoconservatrice refleurit à l’ombre des opérations que mène Israël pour venger le 7 octobre 2023. Le millier de victimes innocentes du 7 octobre a non seulement radicalisé la doctrine israélienne de la riposte disproportionnée, mais également ressuscité de vieilles lunes idéologiques. Ce n’est pas à coups de bombes anti-bunkers, d’assassinats ciblés et de talkies-walkies piégés que le Proche-Orient va se démocratiser ou accueillir Israël à bras ouverts. Il faut tenir la sociologie et l’anthropologie en très basse estime pour croire Tsahal et les services israéliens capables de pacifier le Moyen-Orient.

Tout compte fait, les accords d’Abraham entre l’État hébreu et un certain nombre de pays arabes n’ont concerné que des États sans réelle population autochtone (Émirats, Bahreïn, Oman) ou le lointain Maroc, plus inquiet de sa souveraineté sur le Sahara occidental que de l’avenir des Palestiniens. Soucieux de son opinion publique, le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane se garde bien de signer le moindre accord avec Israël tant que l’amorce d’un État palestinien n’a pas été annoncée.

Par la pensée magique, les nouveaux néoconservateurs se persuadent que l’élimination des chefs du Hamas et du Hezbollah anéantit leur base sociale. Que cela plaise ou non, ces groupes armés islamo-nationalistes répondent à une demande. Il ne s’agit pas de simples mercenaires implantés pour servir l’agenda de l’Iran. La longue histoire de la relégation des chiites libanais, longtemps méprisés et économiquement déshérités, pèse autant dans le succès du Parti de Dieu que le soutien iranien. Au lieu de prendre leurs désirs pour des réalités, les occidentalistes devraient se faire une raison : « Les autres ne pensent pas comme nous », comme dirait un ancien conseiller diplomatique de Chirac. 

Quand bien même l’infrastructure et les moyens d’action du Hezbollah et du Hamas seraient démantelées et tous ses cadres décimés, le problème de fond resterait inchangé. À Gaza, l’inexistence d’un État palestinien. Au Liban, la vacance d’une nation introuvable, le Hezbollah étant « un État au-dessus d’un non-État » (Karim Bitar). Tant que l’occupation, la frustration et l’humiliation des populations perdureront, ces mouvements terroristes renaîtront sous une forme ou sous une autre, encouragés par la haine et le ressentiment que suscitent les opérations militaires israéliennes.

C’est ce que l’éminent Henry Laurens appelle le syndrome du dernier enfant grec, suivant le poème qu’avait inspiré à Victor Hugo le massacre de l’île de Chios, en 1822 :

« Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,

[…] Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;

[…]  Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles. »

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