Qui fut Léon Tolstoï (1828-1910) ? Un personnage olympien « semblable à Dieu », comme l’écrivait Gorki, « assis sur un trône d’érable sous les branches d’un tilleul d’or ». Le premier romancier de son temps, l’Homère russe, qui a joué pour la révolution soviétique un rôle analogue à celui de Rousseau pour la Révolution française. On a oublié quel tremblement de terre sa mort a produit sur ses contemporains. Un événement planétaire, l’un des premiers, quasiment en mondovision. Le grand écrivain voulait mourir seul, mais le monde entier s’est convié à ses funérailles. De partout, les correspondants de presse affluent, les disciples accourent, les rumeurs les plus folles circulent. Mort ? Pas mort ? Ressuscité ? On attend religieusement. Quoi ? Un miracle. Anticipant des troubles (la révolution avortée de 1905 est encore dans tous les esprits), le régime tsariste dépêche des policiers. Et le Saint-Synode, qui avait pourtant excommunié Tolstoï en 1901, des ecclésiastiques. En vain. Son enterrement sera le premier enterrement civil de Russie, épilogue d’une vie qui aura été le théâtre d’un combat titanesque.