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Bruno Retailleau, nouvelle star de la droite « comme il faut »

Bruno Retailleau, nouvelle star de la droite « comme il faut »

Si les soubresauts de la politique politicienne et les vicissitudes des agitations partisanes ne sont pas forcément d’ordinaire au cœur des préoccupations de notre revue, leur observation et leur analyse n’en restent pas moins un passionnant et indispensable révélateur de l’état politico-médiatico-social de notre pays ainsi qu’un indicateur des divers mouvements et évolutions de son opinion et de ceux qui prétendent l’incarner. C’est pourquoi désormais, chaque mardi, Nicolas Gauthier nous livrera sa chronique politique, décortiquant le « théâtre d’ombres » de l’actualité des partis et des assemblées, avec toute l’acuité et l’ironie mordante que lui connaissent nos lecteurs.

C’est décidément une manie pour la droite conservatrice et libérale de passer d’un homme providentiel à l’autre. Les échecs à répétition auraient pu l’en faire rabattre sur ses enthousiasmes d’enfant, mais non. Le dernier élu ? Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron. Ce n’est plus À la recherche de la nouvelle star, le télé-crochet qu’on sait, mais la foire à l’andouille. Il est vrai que les sondages du moment sont plus que flatteurs. À en croire celui d’Ipsos, le Vendéen serait le ministre le plus populaire du moment. Mieux, il grignoterait à gauche, mais surtout au Rassemblement national.

Ça tombe bien, c’est précisément l’électorat qu’il vise. Il n’est pas le premier de sa catégorie et probablement pas le dernier à aller ainsi à la pêche aux moules pour en revenir bredouille. Une manie, disions-nous, tant elle est longue la liste de ces stars d’un soir.

Philippe de Villiers ? Deux présidentielles : 4,74 % en 1995 et 2,23 % en 2007.

Charles Millon ? Qui se souvient encore des deux partis qu’il a créés ? La Droite en 1998, puis La Droite libérale-chrétienne l’année suivante, n’ont effectivement pas laissé une empreinte indélébile dans la mémoire politique collective.

Pierre de Villiers ? Malgré quelques essais à succès et l’indéniable soutien de ses lecteurs, les rumeurs voulant qu’il puisse se présenter à l’élection présidentielle de 2022 sont restées lettre morte.

Certes, il y a bien eu François Fillon, ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, lors de l’élection présidentielle de 2017. Là, tous les réseaux catholiques, conservateurs et libéraux se mobilisent. On donne l’élection pour imperdable. Elle est pourtant perdue, pour cause d’indéniable acharnement judiciaire ; ce qui n’empêche qu’il ait aussi été son pire ennemi, toute la campagne durant. Résultat ? 20,01 % des voix qui ne lui permettent pas d’atteindre le second tour. Dans la foulée, il appelle à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen.

Le hold-up électoral du siècle

Bon, la seule fois où cette droite décroche la timbale, c’est avec Nicolas Sarkozy, d’ailleurs plus parvenu que véritablement bourgeois. Il est vrai que sous la houlette de son conseiller Patrick Buisson, il mâtine son discours libéral d’accents bonapartistes. Résultat ? Jean-Marie Le Pen se retrouve en slip et en tongs sur la banquise. C’est le hold-up électoral du siècle. Mais l’euphorie droitiste est de courte durée. Durant la campagne, ses soutiens ont un slogan imparable : « Si vous votez pour Ségolène Royal, on va se retrouver avec un Bernard Kouchner au Quai d’Orsay ! » Et c’est précisément avec Nicolas Sarkozy, que celui qui portait jadis des sacs de riz en Somalie, en est venu à faire de même de la parole de la France à l’international. Tout ça pour ça.

Comment expliquer une telle dégoulinante infernale ? Tout simplement parce que chez dans ce monde-là, il y a les gens bien et ceux de peu. Un exemple ? La campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995. Cet homme, propre sur lui, a justement tout pour lui, de ses costumes en tweed taillés sur mesure, de sa moue Louis-Philipparde jusqu’à son goitre de notaire façon Rotary Club. Même ses chaussettes d’un rouge cardinalice – son fournisseur est celui de l’évêché –, parlent pour lui. De la sorte équipé, il ne fera qu’une bouchée de ce rustaud de Jacques Chirac, l’homme qui murmure au cul des vaches entre deux blagues de corps de garde tout en écoutant de la trompette de cavalerie. Pas de vase. Ballamou ne se hisse même pas au second tour et doit appeler à voter pour le Corrézien, la mine aussi contrite que l’enfant de cœur venant de se faire tauper dans la sacristie en lichant du vin de messe à même le goulot.

On remarquera que trois ans plus tard, les partisans de Bruno Mégret, alors numéro deux du Front national, commettent à nouveau la même bourde. Ces radicaux-versaillais estiment que Jean-Marie Le Pen, autre machine à perdre, sent un peu trop fort sous les bras. On connaît le résultat, le polytechnocrate policé qui devait tout emporter en est réduit à appeler à voter pour le Menhir au soir du second tour de l’élection présidentielle de 2002. Mais jamais deux sans trois, quand la même septième compagnie au clair de lune remet le couvert vingt ans après. Mais là, ce n’est pas du Dumas, mais du Feydeau. Éric Zemmour, nouvelle coqueluche du libéralo-conservatisme, après une campagne totalement ubuesque, opposant « chats » et « livres », alors que les seconds sont souvent fans des premiers, pour finalement appeler à voter pour Marine Le Pen, nouvelle machine à perdre, il va de soi. Encore un fois, tout ça pour ça.

Retailleau, le hobereau qu’il vous faut !

Aujourd’hui, le césar du meilleur espoir masculin, c’est sans contexte Bruno Retailleau, le hobereau bien comme il faut. Ministre de l’Intérieur, qui n’en finit plus de dire ce qu’il faut faire, ce qu’il va faire, mais qu’il n’a pas forcément les moyens de faire. À croire que l’auto-persuasion puisse, administrée à de telle doses, produire des effets hallucinogènes. Seulement voilà, le nouveau héraut de cette galaxie conservatrice ayant en partie troqué la main invisible du marché pour la poigne de la maréchaussée, n’est pas le seul à jouer l’éternel héros de cette droite “décomplexée”.

Car en face, il y a désormais Éric Ciotti, l’ancien président des Républicains, qui a demandé, et obtenu, l’asile politique au Rassemblement national, tandis que Bruno Retailleau a multiplié les atermoiements vis-à-vis de Marine Le Pen, assurant, lors des dernières élections législatives qu’aucune voix ne devait aller, ni au RN, ni à LFI.

Et puis, il y a cette dimension psychologique trop souvent mésestimée. Éric Ciotti, l’éternel mal-aimé de la droite, le provincial à l’accent méridional, qui sait bien qu’il passe pour un plouc auprès des instances parisiennes ou de cette noblesse locale si bien incarnée par Bruno Retailleau. Avoir franchi le Rubicon pour rallier le Rassemblement national, c’est sa revanche à lui, l’éternel plouc. Il sait ne plus pouvoir revenir en arrière et fera probablement tout pour que Bruno Retailleau n’aille pas trop de l’avant.

Entre-temps, Marine Le Pen, autre éternelle sous-estimée, « la mère à chats » qui est « de gauche », n’en finit plus de tisser sa toile, fidélisant d’un côté “la France d’en bas”, tout en chargeant Jordan Bardella de ne pas se mettre à dos celle “d’en haut”, tout en chargeant le même Ciotti de câliner ce qui demeure de l’électorat chiraquien. Précisément ce qui avait fait le succès d’un certain Nicolas Sarkozy, en 2007…

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