Rivendel, Conversation with Smaug, Mithrim, Moria Gat, mais aussi une carte de la Terre du Milieu et quelques-unes des espiègles illustrations des Lettres du Père Noël : la nef, la sacristie et l’escalier du collège des Bernardins, tout de pierre blonde, accueillent sur leurs murs ces tapisseries de grand format, offrant au visiteur une immersion bienvenue dans cet univers si poétique.
Lancé dès 2012, le projet « Aubusson tisse Tolkien » a, tout d’abord, vu travailler le conservateur en chef de la Cité de la Tapisserie et ses équipes en étroite collaboration avec le Tolkien Estate. Celui-ci, sous la houlette de Christopher Tolkien et de sa famille, veille en effet à ce que l’héritage de l’écrivain ne soit ni bradé ni dévoyé, notamment grâce au strict contrôle des droits dérivés. Christopher, avant sa disparition en 2020, a eu la joie de découvrir les quatre premières tapisseries. Son épouse Baillie a pris le relais avec enthousiasme, soulignant que « les peintures de J. R. R. Tolkien ne sont pas juste de charmantes illustrations, mais du grand art ». Et de reconnaître combien les « lissières et lissiers des sept ateliers, et les gens associés à la Cité de la tapisserie, son musée et son administration [sont] tous dévoués à cet ancien art artisanal, fidèles à leur ville, leur terroir et leur histoire ». La dernière « tombée de métier » a eu lieu en 2023. Un travail de longue haleine, donc, où rien n’a été laissé au hasard.
L’œuvre graphique de J. R. R. Tolkien dégage un charme indéniable, dû à une approche expérimentale, décontractée, de l’ordre du loisir. Quand nombre d’images servent de support à certaines scènes, d’autres étaient destinées au cercle familial, telles les Lettres du Père Noël. Rarement exposées, aquarelles et gouaches ont été passées au crible pour déterminer quelles illustrations se prêteraient le mieux à leur transposition : format, cohérence, originalité, vivacité et harmonie des couleurs. Ainsi, les tapisseries murales et les tapis peuvent être regroupés selon cinq ouvrages de J. R. Tolkien : Les Lettres du Père Noël, Le Silmarillion, Bilbo le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux et Roverandom.
Un défi technique et artistique
« Les œuvres de la tenture Tolkien représentent aussi un défi technique du point de vue du tissage », précise le site internet de la manufacture. « Tisser comme si J. R. R. Tolkien en personne avait amené ses dessins aux ateliers d’Aubusson, c’est-à-dire en s’inspirant des réalisations des années 1930 au sein de l’École nationale d’Art décoratif d’Aubusson. Il s’agissait alors de mettre en œuvre un principe d’interprétation ancien que l’École avait remis en avant : l’usage de couleurs pures et une écriture technique très marquée, en prenant modèle sur la tapisserie des XVe et XVIe siècles, peu utilisée aujourd’hui ». Cela donne toute une gamme de rouges vifs, de jaunes orangés enflammés, de bleus glacier, de gris inquiétants – sans oublier des verts céladon et des violets very british.
Comme le rappelle Catherine McIlwaine, archiviste responsable du fonds Tolkien à la bibliothèque bodléienne d’Oxford, « talent artistique, savoir-faire artisanal, habileté : dans sa vie personnelle, Tolkien attache une grande importance à ces qualités qui se retrouvent au cœur du monde qu’il crée. […] L’admiration de Tolkien pour l’artisanat traditionnel n’a été que peu mise en avant par ceux qui l’ont étudié, mais elle est manifeste dans son œuvre littéraire ». Cette grande estime pour l’artisanat, pour les objets utiles et beaux créés sans faire appel à des machines complexes entre ainsi en résonnance avec la philosophie de la manufacture d’Aubusson.
Des millefleurs du Moyen-Age aux créations de Jean Lurçat au XXe siècle, cette manufacture, qui regroupe des ateliers indépendants, est en effet un des centres européens les plus importants consacrés à la tapisserie. Soutenue par des mécènes et des commandes publiques, cette filière d’excellence mêle savoir-faire traditionnels et technologies contemporaines.
Comment éviter que la rose finement aquarellée devienne, agrandie et tissée, un… chou monstrueux ? C’est là qu’intervient l’indispensable travail d’interprétation, dont le rôle clef revient ici à la dessinatrice-cartonnière. Delphine Mangeret a ainsi travaillé à réaliser les cartons des tapisseries et à concevoir la gamme de couleurs. Ces couleurs définies, ce sont les teinturiers qui prennent le relais. Puis les fils de chaîne sont montés sur le métier de basse lisse, le carton est glissé, en image inversée, sous le métier. Enfin, lissières et lissiers, coude à coude, vont, des heures durant, faire avancer les fils de trame, avant le dévoilement final, la « tombée de métier ». Que d’astuce, de virtuosité et de technique pour tisser, à l’envers, les 147 noms de la carte de la Terre du Milieu, dans le respect de la calligraphie de J. R. Tolkien ! Aubusson n’aurait-il pas mérité d’y figurer aux côtés du Gondor ou de l’Eriador ?
© Photo : Cité internationale de la tapisserie Aubusson
Exposition Aubusson tisse Tolkien – Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris –
Entrée gratuite sur réservation obligatoire.
Agenda et programme du collège des Bernardins
Collectif, Aubusson tisse Tolkien – L’aventure tissée, Lienart, 2024 – 27 €
Aubusson tisse Tolkien sur le site de la Cité internationale de la Tapisserie Aubusson