Le caractère quasi permanent de la nation présuppose une stabilité et une sécurité garanties par les institutions politiques dans une tentative de structuration et de centralisation de cette dernière en État. Malgré la condition humaine, finie dans le temps, l’individu parvient à perpétuer cet équilibre par le renouvellement constant de sa population. Les nouvelles générations sont éduquées et guidées par des valeurs spirituelles se calquant sur les traditions et coutumes. La famille et la sphère sociale, qui baignent le nouveau peuple, dont la responsabilité est l’intégration de l’individu dans la société, achèvent le cycle et concluent la relation peuple-nation. Les concepts de cultures et de coutumes permettent non seulement au peuple de se réunir autour d’expériences communes, mais aussi de se différencier des autres, créant ainsi l’identité.
Le schisme des peuples
Depuis la mondialisation, suivie de près par l’hégémonie du capitalisme invasif, un schisme s’est manifesté naturellement entre les nations occidentales et leurs peuples. Une évolution de la technique trop rapide a conquis les nouvelles générations sous le regard impuissant de leurs familles autant dépassées qu’elles aussi séduites par les innovations. Une norme de consommation à la chaîne et instantanée, importée du Nouveau Monde écrase les produits locaux, un idéal masculin et féminin reposant sur le matériel et l’individualisme brise les rites de passage ainsi que la conception de la famille traditionnelle. Nous assistons aujourd’hui au rejet de leur patrie par les individus, les peuples tournent le dos à leur nation, se faisant renégats et souvent profanateurs.
La sphère économique, primant sur le politique et le social, justifie cette uniformisation des individus: en supprimant leurs différences et leur conscience, nous obtenons « le dernier homme » (Nietzsche). Un consommateur désintéressé par les res publica, son bonheur supposé se trouve désormais dans l’accumulation matérielle au sein d’un système qui l’exploite. Un système qui ne fait plus nation, atomisant l’individu, dont l’identité est noyée et effacée. Cette condition lui est d’ailleurs largement insupportable en interne, mais il n’a ni la force ni l’envie de se battre tant son nihilisme passif, entretenu par le dogme de la liberté individuelle, l’aliène et le soumet.
Voilà comment tuer une nation: en tuant son peuple. Dès lors qu’on admet que « le nationalisme engendre le socialisme »(Maurice Barrès), alors nous pouvons aussi déclarer la mort politique du socialisme. Ces exécutions sont le fruit d’une union paradoxale entre le terrorisme intellectuel néo-marxiste et le néo-libéralisme invasif. En prônant tous deux l’internationalisme et l’émancipation des peuples, un processus de culpabilisation s’installe autour du sentiment national en l’associant uniquement aux périodes sombres de l’histoire. La nation est devenue un ennemi intérieur, et le matricide devient une évidence.
Malgré ce constat, tout n’est pas perdu : la nation trouvera toujours le moyen d’exister d’une façon ou d’une autre, attendant simplement d’être remise au goût du jour. Cependant, les conditions qui rendront propice ce retour triomphant de la nation nécessitent sans doute une période de chaos, une perturbation physique réelle par le biais de guerres ou de révolutions susceptibles d’affaiblir drastiquement le système en place. Une seconde renaissance par le biais d’un « big reset » est certes radicale, mais correspond à la nature cyclique de l’histoire, qui nous rappelle que, quand le passé n’éclaire plus l’avenir, nous naviguons dans les ténèbres.
Illustration : « Peuples, formez une Sainte-Alliance et donnez-vous la main » Lithographie de Frédéric Sorrieu, 1848, Musée Carnavalet, Paris.