« Le mensonge, comme l’huile, flotte à la surface de la vérité. » Sienkiewicz
Le temps médiatique comporte bon nombre de marronniers, des sujets incontournables que tout journal digne de ce nom se doit de traiter, aussi faible puisse être leur intérêt. En ce mois de juin, nous avons comme de coutume le baccalauréat, édulcoré cette année en raison de l’épidémie de Covid. Pour ce cru prometteur, le contrôle continu représentera près de 80 % de la note finale des élèves.
On compte bien entendu sur le corps enseignant et sa bienveillance en cette période difficile pour ménager les lycéens et ne pas les priver du diplôme auquel ils ont pour ainsi dire désormais « droit ». En 2020, année marquée par une désorganisation sans précédent, le précieux et exigeant sésame, premier grade universitaire, avait été obtenu par plus de 95 % des candidats1. Qu’en sera-t-il en 2021 ?
Il y a fort à parier que le résultat sera au moins équivalent, le ministère n’acceptant plus le moindre recul depuis des lustres, et cela indépendamment du niveau des candidats. Nous aurons donc, si l’on s’en tient au taux de réussite du baccalauréat, le privilège de célébrer en 2021 la génération la plus brillante, la plus lettrée et la plus cultivée de l’histoire de France.
Le meilleur des mondes ?
Pourtant aujourd’hui, on n’entend plus grand monde s’extasier des résultats, et un silence gêné semble prévaloir. Le roi est nu, malheur à celui qui osera le dire. La supercherie, mensonge d’État, a pris de telles proportions qu’elle en est devenue ineffable. Ne comptez donc pas sur le rectorat ou le ministère pour émettre une réserve sur la qualité des élèves et de leur prose, ils en sont maintenant incapables. « Les masques à la longue collent à la peau, disait Edmond de Goncourt ; l’hypocrisie finit par être de bonne foi. »
La dégradation dramatique des aptitudes de nos bacheliers est pourtant bien réelle et s’explique par la faillite de l’enseignement primaire et secondaire, ressentie par beaucoup et révélée par de nombreuses études internationales2, comme gouvernementales3. Ainsi, 40 % des écoliers scolarisés en REP+4 ont une « non maîtrise » du français lors de leur entrée en sixième ; quand on connaît la langue de bois des administrations, il y a de quoi s’inquiéter… Espérons que cela ne les empêche pas de prendre des cours auprès de leurs camarades azéris ou lituaniens, meilleurs qu’eux en sciences et en mathématiques.
Les causes de ce naufrage sans fin sont légion. Évacuons-en une, souvent mise en exergue par les enseignants et les parents d’élèves : les moyens. Le budget global de l’éducation en France est élevé5, bien davantage que dans les deux pays précités, et n’a eu de cesse de croître depuis 1980. Pour le seul premier degré, la dépense par élève, en euros constants, a été multipliée par deux en quarante ans6, pour un résultat somme tout assez douteux.
C’est à la toile de fond qu’il convient de s’attaquer. Cette chute est le fruit de la démocratisation de l’enseignement, ou plutôt massification, entreprise à partir de 1945 et accélérée inexorablement depuis les années 70 et les événements de Mai 68. Cette massification aurait pu, dans une certaine mesure, opérer une moyennisation des compétences des élèves, mais ce n’est pas ce chemin qui fut suivi.
De Charybde en Scylla
Couplée à la démagogie et au nihilisme de notre temps, elle a nivelé vers le bas les différents degrés d’études et réduit les exigences éducatives. Ce n’est pas un hasard si cet effondrement s’est produit concomitamment à la disparation du père et des maîtres, bref de l’autorité. Adieu, costume, chemise, uniformes, noms de famille, estrade et vouvoiement, l’enseignant, devenu « prof », est dorénavant un « accompagnant », ayant autant à apprendre aux élèves qu’à apprendre d’eux.
L’élève aussi a muté. Sous la férule de pédagogues jargonneux, nos nouvelles précieuses ridicules, il est aujourd’hui invité à être « acteur » de son éducation et à occuper une place centrale dans l’enseignement, autrefois celle accordée aux savoirs. Et pourtant, diantre, le niveau baisse et le « client » n’est pas satisfait ! Pour notre ancienne ministre, l’inénarrable Mme Vallaud-Belkacem, la chose est entendue, le mal trouve sa source dans l’ennui des élèves et il faut favoriser les matières nouvelles et l’interdisciplinarité. À quand un professeur de sports enseignant la philosophie, comme dans un sketch des Inconnus ?
Le pire dans ce système, et peut être le plus surprenant dans un pays qui se gargarise d’être le champion de la lutte contre les inégalités, c’est qu’il est furieusement inégalitaire. Dans les établissements REP/REP+, peuplés en grande partie d’enfants pauvres et issus d’immigration récente, le niveau s’étalonne sur celui des plus mauvais élèves et dans un climat parfois violent; la classe végète. Les professeurs qui y enseignent, fruits d’un système scolaire déliquescent et d’un concours de moins en moins sélectif7, ont des compétences inférieures à celles de leurs aînés. Le « prof », prestataire de service en tee-shirt, peu rémunéré et au prestige diminué, n’attire plus les meilleurs profils.
Que faire ?
Pour le primaire, la maîtrise des savoirs élémentaires doit redevenir la priorité absolue : lire, écrire et compter, ni plus ni moins. Un élève aura tout le loisir d’être sensibilisé à la propagande antiraciste, LGBT ou à l’écocitoyenneté plus tard, les médias d’État étant déjà là pour ça.
Concernant le secondaire, il conviendrait de réduire l’hyperspécialisation précoce des élèves, renforcée par la réforme Blanquer du lycée, et de ne plus délivrer automatiquement le baccalauréat en revenant aux exigences d’antan8. On compte désormais de nombreux bacheliers incapables de résoudre une équation, de rédiger une phrase avec une syntaxe correcte ou méconnaissant les fondamentaux de notre Histoire.
Par ailleurs, avec l’introduction du contrôle continu au baccalauréat, on a transformé l’examen en une sorte de brevet des lycées, lui retirant son caractère national et ses oripeaux de solennité. Enfin, un esprit malveillant pourrait penser que l’introduction d’un « grand oral » coefficient dix facilite le passage de ceux incapables de disserter à l’écrit et permet d’éluder ce problème de fond. Ce bac pour tous n’a de valeur pour personne.
De l’individu au pays
On aurait tort de croire que cet affaiblissement des bacheliers n’a que de maigres conséquences sur notre pays. En premier lieu, il affecte la qualité de l’enseignement supérieur. L’université, qui ne peut sélectionner ses étudiants, est tirée vers le bas par des médiocres, frustrés car comprenant qu’on leur a menti sur leur niveau réel, qui échouent massivement9. Pot-pourri, garderie pour rejetons d’une classe moyenne peu pressée de se retrouver dans le monde du travail, elle se secondarise et délivre, elle aussi, des diplômes au rabais.
En outre, ces étudiants, une fois diplômés, n’auront pas tous une compétence à mettre en avant sur le marché de l’emploi. Formés en fonction de leurs envies et pas en adéquation avec les besoins du pays, les dizaines de milliers d’étudiants en STAPS10 ou en lettres risquent fort de ne pas trouver un métier en lien avec leurs qualifications. En bref, alors que la France manque d’ingénieurs et d’informaticiens, elle croule sous les sociologies en herbe. On ira donc les chercher ailleurs, à l’étranger.
À l’heure où la France et l’Europe font face à des défis immenses : montée en puissance de l’islam, pression migratoire sans précédent, vieillissement de leur population, dérèglement climatique, crise sanitaire et concurrence exacerbée avec l’Asie, il est clair que l’abêtissement des classes moyennes et la chute du niveau des élites11 s’avèrent des problématiques fondamentales.
Pour préparer au mieux l’avenir et survivre à ces épreuves, il est urgent de réarmer intellectuellement et culturellement nos peuples. Les ignares sont condamnés à subir.
Le temps presse.
Notes
1. 97,6 %, si l’on s’en tient au bac général.
2. https://timss2019.org/reports/
3. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/90/1/depp-ni-2016-20-cedre-2015-ecole_604901.pdf
4. Réseaux d’éducation prioritaires, dans les établissements en REP, moins défavorisés, ils ne sont « que » 28 %.
5. Les dépenses intérieures d’éducation s’élèvent à 161 milliards d’euros en 2019 soit presque 7 % du PIB, ce montant comprenant l’enseignement primaire, secondaire et le supérieur. Elles sont essentiellement payées par l’État et les collectivités territoriales.
6. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238411?sommaire=4238781#graphique-figure3
7. La dernière réforme du CAPES est à ce titre assez révélatrice, le candidat est désormais évalué à l’oral, tant sur sa matière que sur sa « motivation ». L’importance de son savoir recule dans le choix.
8. En Suisse, 40 % seulement des élèves obtiennent la Maturité, équivalent du baccalauréat français.
9. 60 % à leur première année d’enseignement supérieur.
10. Sciences et techniques des activités physiques et sportives.
11. On ne l’a pas évoqué, mais la baisse de niveau affecte également une partie établissements des élites, phagocytée par la doxa venue d’outre-Atlantique.