NICOLAS GAUTHIER. En couverture du dernier numéro d’Éléments, vous mettez un gros coup de pied dans la fourmilière en évoquant la cause animale, sujet aujourd’hui au moins aussi sensible que le féminisme. Des coups à prendre ou des leçons à donner ?
PASCAL EYSSERIC : Je m’en voudrais de donner un coup de pied dans une fourmilière déclenchant ainsi une tuerie sans nom chez nos amies les fourmis… Plus sérieusement, le débat sur le bien-être animal est en effet devenu un sujet éminemment politique, économiquement stratégique et hautement inflammable. En vingt ans, la loi a connu des bouleversements majeurs : l’animal est désormais un « être vivant doué de sensibilité »et non plus un « bien meuble », avant d’acquérir, peut-être, le statut de « personnalité animale », comme le demande la Fondation 30 millions d’amis. Ces changements ont des implications majeures dans notre vie de tous les jours. Pour mettre fin à la souffrance animale, par exemple, certains défenseurs des animaux s’associent avec des industriels de biotechnologies pour imposer une agriculture sans élevage. Fabriquer de la viande de synthèse ne relève plus de la science-fiction ni même de la recherche fondamentale. On en sert depuis un an dans les restaurants de Singapour. Après l’agriculture sans paysans, voici venir le temps de la ferme sans animaux…
NICOLAS GAUTHIER. Grande surprise de ce numéro, un long entretien avec Marine Le Pen. La vision qu’elle développe quant aux rapports entre l’homme et l’animal et, pour aller plus loin encore, entre homme et nature, démontre une certaine hauteur de vue et d’esprit. Ça vous a surpris ?
PASCAL EYSSERIC : Non, je savais que c’était un sujet sur lequel elle avait beaucoup lu et réfléchi. C’est une autre Marine Le Pen que les lecteurs vont pouvoir découvrir. On l’attend sur tous les sujets, pour peu qu’ils soient politiques, moins sur les animaux, même si elle a souvent fait état de son affection pour les chats. Or, il y a ici aussi de la politique ; il y a de la philosophie ; il y a de l’anthropologie. Où commence l’homme, où finit l’animal ? Quel avenir pour l’agriculture française à l’heure où les multinationales investissent massivement dans « l’or rouge », la viande propre ?
Les journalistes l’interrogent toujours sur les mêmes sujets parce qu’ils attendent toujours les mêmes réponses pour avoir les mêmes réactions calibrées qui tourneront indéfiniment à la télévision ou sur le Net. Nous, à Éléments, revendiquons d’aller toujours là où l’on ne nous attend pas. Et je dois dire que Marine Le Pen n’a éludé aucune question : de l’émergence des partis animalistes partout en Europe à l’antispécisme, en passant par les actions de l’association L214, le phénomène végan, le localisme, etc.
NICOLAS GAUTHIER. Deuxième dossier d’importance, dans ce numéro : l’affaire Olivier Duhamel, au centre d’une guerre de générations entre deux gauches. Pourquoi, diable, écrire sur ce drôle de zèbre ?
PASCAL EYSSERIC : C’est moins le zèbre vieillissant que harde qui l’accompagne qui nous a intéressé, en l’occurrence… L’affaire Duhamel n’est qu’un prétexte pour évoquer la vague #MeToo qui, depuis près de cinq ans, emporte un par un tous les mâles blancs de la gauche parisienne issus de Mai 68, ceux-là mêmes qui avaient tué leurs pères en leur balançant des pavés à la figure et qui, aujourd’hui, se font enterrer vivants par leurs propres enfants, à grands coups de règlements de comptes.
Si vous voulez, cette affaire, c’est la dernière facture que les enfants de Mai 68 adressent à leurs parents avant de les mettre à l’EHPAD. Dans cette lutte à mort entre deux générations, la gauche intersectionnelle a eu la peau de la gauche caviar. Camille Kouchner et son célèbre La familia grande est l’arbre qui cache une ribambelle d’enfants traumatisés : Camille de Toledo, fils et petit-fils de patron de gauche, expédie père, patron de Danone, et mère, rédactrice en chef du Nouvel Obs dans Thésée, sa vie nouvelle (Verdier), Virginie Linhart crucifie sa mère militante MLF dans L’effet maternel (Flammarion), Raphaël Enthoven éparpille son père façon puzzle dans Le temps gagné (L’Observatoire), Laurence Debray déboulonne la statue de Régis dans Fille de révolutionnaire (Stock), Mao (sic) Peninou date même son homosexualité du jour où, petit garçon, il a été terrorisé par les amies militantes MLF de sa mère, vantant les mérites de l’émasculation devant lui, dans un documentaire 68, mes parents et moi.